Suite à un accident, l’accusée est placée en état d’arrestation pour alcool au volant. Le Juge considère que la policière n’avait pas les motifs raisonnables et probables suffisants pour procéder à l’arrestation et acquitte donc l’accusée.
Dans cette cause, la défense plaide que les taux d’alcoolémie devraient être exclus de la preuve au motif que les policiers n’avaient pas les motifs requis par le Code criminel afin de procéder à l’arrestation de l’accusée.
Bien que certains symptômes sont observés lors de l’intervention des policiers, ceux-ci étaient insuffisants pour une arrestation.
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LA PREUVE
La version des policiers
Alors que les policiers sont en patrouille, ils aperçoivent un véhicule dans le fossé. Ils arrêtent donc leur véhicule et activent les gyrophares.
L’accusée sort alors de son véhicule, côté conducteur. « Juste à côté, se trouve une entrée privée qui est droite et éclairée. Il fait beau et l’asphalte est sec.
La policière va à la rencontre de la dame en question et lui demande si elle est blessée. Elle répond « non » et lui explique qu’en discutant avec sa fille, elle fait une manoeuvre de recul et la voiture s’engouffre dans le fossé. »
La policière constate alors que l’accusée « s’exprime avec un langage pâteux, que la dame a un regard fuyant vers la droite, et ne la regarde pas « de face », dit-elle.
La policière rapporte aussi qu’elle sent l’alcool, parle lentement et a des émotions en dents de scie. Elle dit avoir bu un verre de vin plus tôt. »
Suite à ces constatations, la policière procède à l’arrestation de l’accusée pour alcool au volant, lui donne son droit au silence et demande à l’accusée de prendre place dans le véhicule des policiers.
La policière remarque alors « que l’accusée a les yeux vitreux et injectés de sang. Elle lui intime l’ordre de fournir un échantillon d’haleine avant que la dame accepte de se rendre au poste.
En contre-interrogatoire, la policière concède qu’elle arrive sur les lieux de l’accident à 21 h et qu’à 21 h 3, elle place madame Patterson en état d’arrestation. »
Alors que les policiers sont toujours sur les lieux de l’arrestation, la fille de l’accusée arrive sur place.
La policière indique à la Cour qu’elle « refuse que l’accusée lui parle puisqu’à ce moment, dit-elle, elle accumule encore sa preuve. »
La policière indique à la Cour que l’accusée « a une démarche normale, mais un léger déséquilibre lorsqu’elle prend place dans la voiture des policiers. La policière décrit sa façon de parler comme lente par rapport à une personne sobre. Elle ne peut qualifier l’odeur d’alcool de faible ou de forte puisqu’elle est à l’extérieur.
Les agents ont en leur possession un appareil de détection approuvé, mais ne l’utilisent pas. »
Le policier, pour sa part, confirme substantiellement la version de sa collègue. Il ajoute qu’à la demande de la policière, l’accusée a éteint le moteur de son véhicule.
Cependant, contrairement au témoignage de la policière, ce dernier indique que la chaussée était mouillée.
Selon lui, la policière aurait posé « trois questions à la dame avant de l’arrêter. Qu’est-ce qui s’est passé ? Êtes-vous blessée ? Pourriez-vous aller arrêter votre voiture ?
L’accusée répond spontanément aux questions, mais parle lentement. Elle prend le temps d’articuler comme il faut. Elle a un accent anglophone. »
Toujours selon le policier, l’accusée « une démarche normale même lorsqu’elle se rend arrêter le moteur de son véhicule. Son comportement aussi est normal et elle collabore bien. »
Il témoigne à la Cour qu’il « ne se souvient pas s’ils ont l’appareil de détection approuvé en leur possession ce soir-là, mais précise qu’ils n’en ont pas eu besoin. »
La version de l’accusée
L’accusée explique à la cour qu’en fin d’après-midi elle arrive sur les lieux de l’accident « et tente de se stationner. Il y a d’autres véhicules dans l’entrée et sa voiture glisse dans le fossé.
Lorsque les policiers arrivent à 21 h, elle prétend ne pas être dans sa voiture, mais dans l’entrée, en direction du véhicule. Son arrestation se fait rapidement, dit-elle, et à peine quelques questions lui sont posées.
Lors de son arrestation, elle pleure parce qu’elle est inquiète pour sa fille. Elle reconnaît être nerveuse et stressée. Elle dit aux policiers qu’elle n’est pas fière d’elle et « qu’on doit être responsable de ses actes ». C’est la première fois qu’elle est mise en état d’arrestation, ajoute-telle.
Elle mentionne que lorsqu’elle s’exprime en français, elle a parfois de la difficulté à articuler.
QUESTION EN LITIGE
La seule question en litige dans la présente cause est à savoir si la policière avait des motifs suffisants pour procéder à l’arrestation pour alcool au volant.
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LE DROIT APPLICABLE
« Madame la juge Thibault de la Cour d’appel écrit ce qui suit dans l’affaire d’Elie Fadell :
« Cette préoccupation de protéger la société contre les abus des policiers s’oppose à une autre nécessité fondamentale, celle de réprimer le crime et de protéger la société.
Pour atteindre un équilibre raisonnable entre les droits individuels fondamentaux et la nécessité de protéger la société contre le crime, la Cour suprême a mis en place une norme souple pour déterminer dans quel contexte la croyance subjective d’un policier, selon laquelle il a droit de faire une arrestation, sera avalisée par les tribunaux. Cette norme exige que le policier démontre a posteriori qu’il possédait non seulement des motifs subjectivement raisonnables et probables de procéder à une arrestation, mais qu’il pouvait établir objectivement l’existence de ces motifs. »
En résumé, une personne raisonnable se trouvant à la place du policier doit pouvoir arriver à la même conclusion quant à l’existence des motifs raisonnables et probables pour arrêter quelqu’un.
Il est connu que l’agent de la paix n’a pas à posséder une preuve suffisante pouvant justifier une condamnation; le niveau d’exigence ne va pas au-delà du seuil de la probabilité et de la raisonnabilité. »
Ceci étant dit, le Juge doit maintenant procéder à l’analyse des faits de la présente cause afin de déterminer si la policière avait les motifs suffisants pour arrêter l’accusée.
À cette question, le Juge répond par la négative.
« Le Tribunal retient que la preuve pointe vers le fait qu’à l’arrivée des policiers, l’accusée est dans sa voiture. »
Les faits constatés par la policière pour mettre l’accusée en état d’arrestation pour alcool au volant « sont l’odeur d’alcool, le fait que l’accusée parle lentement, qu’elle a un langage pâteux, et qu’elle admet avoir consommé un verre de vin. Ce qui donne toutefois une teinte particulière à l’enquête et fait indubitablement partie des motifs » de la policière, est le fait que le véhicule de l’accusée est dans le fossé.
« Le Tribunal ne peut tenir compte des yeux vitreux et injectés de sang, tout comme le léger déséquilibre lorsqu’elle prend place dans l’auto-patrouille, car ces précisions sont notées après son arrestation.
Même avec cet accident comme toile de fond, l’ensemble des autres éléments ne recèle pas la raisonnabilité qu’exige la loi pour constituer des motifs d’arrêter quelqu’un. En bref, l’enquête est plutôt expéditive, elle ne révèle que des soupçons. » La policière « aurait dû continuer d’enquêter.
L’utilisation d’un appareil de détection approuvé n’est assurément pas obligatoire, mais ne pas l’utiliser peut parfois s’avérer fatal à la détermination des motifs raisonnables dans nombre de dossiers. »
Le Juge indique également qu’il trouve étonnant le fait que la policière demande à l’accusée d’éteindre « le moteur de son véhicule alors que l’enquête est forcément débutée. En fait, la preuve est ambigüe sur le moment où l’accusée se rend éteindre le moteur, avant ou après son arrestation, mais dans un cas comme dans l’autre, il faut qu’elle aille dans le fossé, tourne la clé et revienne sur ses pas vers les policiers. »
Il ajoute que si la policière est convaincue de ses motifs avant que l’accusée se rende à son véhicule pour éteindre le moteur, « il est inusité qu’elle lui demande de le faire. Si elle est arrêtée à son retour, ce n’est certainement pas ce court aller-retour qui donne davantage de motifs, puisque sa démarche est normale.
Il n’y a aucun délai précis fixé à l’intérieur duquel un policier doit acquérir des motifs pour arrêter un individu. Chaque cas est un cas d’espèce. »
Dans la présente cause, le Juge indique que la policière n’avait constaté que peu de symptômes avant de procéder à l’arrestation de l’accusée.
« Il n’y avait pas d’urgence et elle aurait pu continuer son enquête en utilisant des techniques éprouvées afin d’obtenir des motifs objectivement suffisants. »
EXCLUSION DE LA PREUVE
Une fois que le Juge détermine qu’il y a eu violation du droit de l’accusée, il doit déterminer s’il exclut ou non la preuve obtenue suite à cette violation, soit le résultat des tests d’alcoolémie de l’accusée.
« La preuve obtenue n’est pas automatiquement exclue lorsqu’il y a violation d’un droit constitutionnel. Ce sont les arrêts Grant et Harrison rendus par la Cour suprême qui donnent les lignes directrices pour évaluer si en bout de piste, l’utilisation de la preuve obtenue en violation des droits d’un accusé, ou son exclusion, est le plus susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
L’analyse oblige de mettre en équilibre trois éléments cruciaux. La gravité de la conduite attentatoire de l’État, l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé et l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit tranchée par le tribunal.
Arrêter une personne sans avoir de motifs raisonnables est grave. »
Le Tribunal fait siens les propos de notre collègue, madame la juge Claire Desgens, qui écrit dans l’affaire de Belzile Rolland :
« On ne peut minimiser l’impact de ce type d’arrestation sur le justiciable moyen […] qui est arrêté, détenu, amené au poste de police, pour ensuite être soumis à un alcootest avant d’être exposé aux procédures judiciaires et aux conséquences qui en découlent. »
Le prélèvement d’échantillons d’haleine ne fait pas violence à la dignité ni ne porte atteinte à un degré élevé à l’intégrité physique. Toutefois, les tests sont faits sans droits et en mobilisant l’accusée contre elle-même.
Il est clair que l’exclusion de la preuve, dans un cas de cette nature, clôt l’affaire. Il est aussi indéniable que la société en général a un grand intérêt à ce que les accusations criminelles soient décidées au terme d’un procès. »
« Il ne faut jamais perdre de vue l’impact à long terme que peut avoir une décision d’exclure ou non la preuve obtenue en contravention des droits constitutionnels d’un individu. »
CONCLUSION
Suite à son analyse, le Juge conclut que le résultat des tests d’ivressomètre doit être exclu de la preuve.
Comme il n’y a plus aucune preuve disponible permettant à la poursuite de prouver que l’accusée avait plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang dans son organisme, elle est donc acquittée.
Référence : La Reine c. Patterson – cause 110-01-001598-197
Jugement du 25 février 2020 par l’Honorable Juge Denis Paradis, Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Gaspé