Acquittement pour conduite avec les facultés affaiblies avec plus de 80 mg d’alcool dans le sang – Jugement du 9 juin 2020

Acquittement conduite avec les facultés affaiblies plus de 80 mg d’alcool dans le sang Jugement du 9 juin 2020

Dans la présente cause, l’accusé est acquitté car la preuve ne démontre pas, hors de tout doute raisonnable, que le premier test d’alcoolémie a été fait moins de deux heures après la fin de la conduite du véhicule par l’accusé. De plus, le Juge conclut que les tests d’haleine n’ont pas été prélevés dès que matériellement possible, contrairement à ce qui est prévu par la loi et, par conséquent, la poursuite ne peut bénéficier de l’application de la présomption édicté par le Code criminel.

L’accusé fait face à la justice suite à une arrestation pour alcool au volant. On lui reproche d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

La défense plaide au Juge que « les échantillons d’haleine de l’accusé n’auraient pas été prélevés dès qu’il était matériellement possible de le faire et, pour le premier d’entre eux, qu’il n’a pas été prélevé dans un délai maximal de deux heures de la conduite du véhicule. »

 

 

LES FAITS

Voici un résumé des faits exposés à la Cour :

– 3 h 53 : L’accusé se fait intercepter par les policiers au volant de son véhicule;

– 3 h 55 : Le policier ordonne à l’accusé de souffler dans l’appareil de dépistage d’alcool;

– 4 h 00 : L’accusé échoue le test de dépistage. Les policiers procèdent à son arrestation. Les droits sont lus à l’accusé;

– 4 h 01 : Un ordre est donné à l’accusé de suivre les policiers au poste de police afin d’effectuer les tests d’alcoolémie requis par la loi à l’aide d’un alcootest;

– 4 h 01 : Le policier communique avec la centrale afin de les aviser « qu’un technicien qualifié en alcootest sera requis au poste de police. Aucun technicien qualifié n’est en devoir cette nuit-là pour le service de police. » La lieutenant du poste de police fait donc des recherches afin de trouver un technicien qualifié pour effectuer les tests d’alcoolémie de l’accusé;

– 4 h 02 : Après avoir fouillé sommairement l’accusé, il est également mis en état d’arrestation pour possession de cannabis;

– 4 h 06 à 4 h 11 : Les policiers procèdent alors à une fouille complète de l’accusé et de son véhicule;

– 4 h 15 : Ils quittent les lieux pour se diriger vers le poste de police;

– 4 h 24 : Ils arrivent au poste de police;

– 4 h 28 à 4 h 35 : L’accusé discute avec un avocat;

– 4 h 35 à 5 h 10 : Les policiers attendent l’arrivée d’un technicien qualifié afin de procéder aux tests d’alcoolémie de l’accusée;

– 5 h 10 : Les policiers sont informés qu’ils doivent se rendre à un autre poste afin de procéder aux tests d’alcoolémie;

– 5 h 19 : Les policiers quittent pour se rendre à l’autre poste de police;

– 5 h 41 : Ils arrivent à l’autre poste où un technicien qualifié s’occupe de l’accusé dès son arrivée;

– 5 h 41 à 5 h 50 : Le technicien qualifié questionne les policiers sur les circonstances de l’arrestation de l’accusé et s’assure que ses droits ont été respectés. Il donne des explications à l’accusé, le conduit à la salle d’ivressomètre et s’assure du bon fonctionnement de l’éthylomètre;

– 5 h 50 : L’accusé effectue le premier test qui révèle une alcoolémie de 99 mg par 100 ml de sang;

– 6 h 12 : L’accusé effectue le deuxième test qui révèle une alcoolémie de 97 mg par 100 ml de sang;

ANALYSE DES DÉLAIS

« L’applicabilité de la présomption d’identité est contestée. Le délai entre la fin de la conduite de son véhicule par l’accusé et le moment du prélèvement du premier échantillon d’haleine est au coeur du litige.
La défense soutient que ce délai excède la maximum de deux heures, et de plus, que le délai total ne respecte pas l’exigence législative à l’effet que les échantillons d’haleine doivent être prélevés dès que matériellement possible. »

POSITION DE LA PROCUREURE DE LA COURONNE

« La poursuite soutient que la présomption d’identité s’applique, puisque l’ensemble de la preuve démontrerait que les échantillons d’haleine de l’accusé ont été prélevés dès que matériellement possible, compte tenu de toutes les circonstances, et pas plus de deux heures après la fin de la conduite dans le cas du premier. »

POSITION DE LA DÉFENSE

La défense prétend, de son côté, que les délais avant de prélever le premier échantillon ne respectent pas les conditions prévus au Code criminel, c’est-à-dire que le premier test soit effectué dès que matériellement possible et pas plus de deux heures après la fin de la conduite de l’automobile.

ANALYSE ET DROIT APPLICABLE

« L’article 258(1)c) du Code criminel crée une présomption établissant, en l’absence d’une preuve contraire, que le résultat le plus faible obtenu par un alcootest fait foi de façon concluante de l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’à celui où l’infraction aurait été commise.

Cette présomption constitue un raccourci juridique pour la poursuite la dispensant de faire la preuve de certains éléments importants.

La disposition législative régissant la présomption énumère certaines conditions qui doivent impérativement être respectées afin que la présomption puisse s’appliquer. La présomption n’est applicable que si, et seulement si, toutes les conditions énumérées sont réunies. »


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L’article 258 (1)c)ii du Code criminel « prévoit que la présomption n’est applicable que si chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l’ayant été à des intervalles d’au moins quinze minutes. »

« Les principes juridiques dégagés par les nombreuses décisions rendues par les tribunaux peuvent se résumer comme suit :

1. D’abord, la poursuite a le fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment;

2. L’exigence législative de prélèvement « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » ne signifie pas que le prélèvement doit être fait aussitôt que possible;

3. L’expression signifie plutôt que les prélèvements doivent être effectués dans un délai raisonnablement rapide, compte tenu de l’ensemble des circonstances;

4. Afin de procéder à cette évaluation, la pierre angulaire de l’analyse est de déterminer si les forces policières ont agi de manière raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances;

5. Les policiers ont l’obligation d’agir à l’intérieur d’un délai relativement court, compte tenu des circonstances de l’affaire. Ils doivent agir relativement promptement;

6. La poursuite n’a pas l’obligation de présenter une preuve expliquant de façon détaillée, minute par minute, l’intervention policière; Il suffit que soit démontré le caractère raisonnable du délai à l’intérieur duquel les échantillons d’haleine ont été prélevés. Une preuve circonstancielle peut être suffisante pour que la poursuite se décharge de son fardeau de preuve;

7. La Cour doit examiner la séquence complète des événements, en gardant à l’esprit la disposition du Code criminel qui prescrit l’ultime limite maximale de deux heures au-delà de laquelle la poursuite perd automatiquement le bénéfice de la présomption;

8. La Cour peut, lorsque cela est pertinent, considérer l’organisation des effectifs et les mesures administratives d’un service de police afin de déterminer si les prélèvements ont été effectués dès que matériellement possible. Cependant, le déroulement ne requiert pas la perfection temporelle, ni d’agir le plus rapidement possible, mais plutôt une organisation généralement raisonnable permettant aux policiers de prélever les échantillons d’haleine dans un délai raisonnablement rapide. »

« On peut résumer la contestation de la défense en trois points.

Premièrement, la défense conteste l’heure de l’interception du véhicule rapportée par les patrouilleurs et soutient que la poursuite n’a pas prouvé que le premier échantillon d’haleine a été obtenu dans un délai maximal de deux heures du moment où l’accusé conduisait un véhicule automobile.

Deuxièmement, la défense plaide que les délais pour trouver un technicien qualifié afin de prélever des échantillons d’haleine sont complètement déraisonnables et que les raisons invoquées pour expliquer ces délais sont inacceptables.

Troisièmement, la défense questionne le délai inexpliqué entre le moment où les agents sont informés qu’ils doivent se rendre » au deuxième poste de police ainsi que l’heure où les policiers et l’accusé quitte le premier poste pour se rendre au deuxième poste.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1) Est-ce que le premier test d’alcoolémie a été prélevé pas plus de deux heures après la fin de la conduite?

« Le délai total à considérer est celui compris entre le moment de la fin de la conduite du véhicule et celui du prélèvement du premier échantillon d’haleine. Dans le cas sous étude, il s’agit du délai entre l’heure de l’interception du véhicule conduit par l’accusé et l’heure du premier test. Ce délai total est, dans la meilleure des hypothèses pour la poursuite, d’une heure et cinquante-sept minutes, soit seulement trois minutes de moins que l’ultime limite maximale de deux heures au-delà de laquelle la poursuite perd automatiquement le bénéfice de la présomption.

Cependant, l’heure de l’interception est contestée. La poursuite soutient que l’heure de l’interception du véhicule est celle rapportée par les patrouilleurs lors de leurs témoignages à la Cour, soit 3 h 53. La défense conteste que cette heure soit celle de l’interception.

D’abord, le contre-interrogatoire des agents a révélé que les agents ont écrit dans le rapport de police que l’heure de l’interception était 3 h 03 et non 3 h 53. Les agents sont contredits par leur propre rapport sur une des questions en litige. Ceci affecte la fiabilité de l’heure rapportée dans leurs témoignages. »

De plus, l’agent qui a confectionné le rapport de police explique cette contradiction en indiquant qu’il s’agit d’une erreur de frappe, fait qu’il a consigné dans un rapport complémentaire rédigé deux mois avant le procès.

Cependant, l’avocat de la défense, lors du contre-interrogatoire de ce policier, « lui fait reconnaître qu’il avait également rédigé un complément de rapport de façon contemporaine aux événements dans lequel il avait inscrit que l’heure de la conduite du véhicule par l’accusé était de 3 h 00 à 3 h 03 et non 3 h 53. Or, ledit rapport complémentaire a été rédigé de façon manuscrite par l’agent Janssen ce qui écarte l’erreur de frappe sur un clavier pour expliquer les contradictions. »

On apprend également lors du procès que c’est l’autre policier, lors des événements, « qui prenait des notes dans un calepin concernant les heures qui serviront à la rédaction du rapport. Or, la première heure notée à son calepin est l’heure à laquelle un ordre est formulé à l’accusé de fournir un échantillon d’haleine dans un ADA, soit à 3 h 55. Rien d’autre n’est noté concernant la conduite ou l’interception du véhicule ou ce qui se passe avant l’utilisation de l’ADA.

Par conséquent, tout ce qui précède affecte grandement la fiabilité des témoignages des deux agents, au moins quant à l’heure de la conduite et celle de l’interception. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs témoignages quant aux heures de conduite et de l’interception sont bien loin d’être convaincants. D’autant plus que l’explication fournie pour justifier les contradictions ne tient pas la route.

Ceci est déjà suffisant pour soulever un doute raisonnable concernant la question en litige. En effet, pour bénéficier de la présomption d’identité, la poursuite a le fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise, mais aussi, que dans le cas du premier échantillon, il a été prélevé pas plus de deux heures après ce moment.

De plus, l’heure de l’interception mentionnée par les agents, suite à un rapport complémentaire rédigé plus de 15 mois après les événements, fait déjà en sorte qu’une différence de seulement quatre minutes ferait perdre le bénéfice de la présomption pour la poursuite.

D’autres heures indiqués pas les policiers sont contredites par les notes du technicien qualifiés. Les policiers, par exemple, indiquent qu’ils arrivent au deuxième poste de police à 5h45 alors que le technicien indique qu’ils sont arrivés à 5h 41. De plus, les heures indiqués par les policiers des tests d’alcoolémie diffèrent des heures notés par le technicien qualifié, « dont les heures rapportées sont corroborées par les heures enregistrées par l’alcootest. »

La Cour considère le témoignage du technicien qualifié « hautement crédible et hautement fiable » et fait remarqué qu’il y a « constamment des écarts variant de deux à quatre minutes entre les heures prises par » le technicien et celles des policiers en ce qui concerne le temps où ils étaient tous ensemble.

« Dans le cas sous étude, un écart de seulement quatre minutes fait en sorte que la poursuite ne peut bénéficier de la présomption d’identité. »

« En conclusion concernant la première question en litige, la Cour considère que la poursuite n’a pas établi, hors de tout doute raisonnable, que le premier échantillon d’haleine a été obtenu pas plus de deux heures après le moment de la conduite du véhicule. »

2) Est-ce que le délai pour obtenir les services du technicien qualifié est raisonnable?

Selon la preuve entendue dans la présente cause, le policier fait une demande pour un technicien à 4 h01 mais ce n’est qu’à 5h50 que le premier test d’alcoolémie sera effectué, « soit au moins 1 h 57 après la fin de la conduite du véhicule, sinon 2 h 01 après ce moment, pour les motifs exposés précédemment. »

De plus, entre le moment où un technicien qualifié est demandé et le moment où le technicien rencontre l’accusé, il y a un délai de plus d’une heure et quarante minutes.

« Ces délais sont extrêmement longs et anormaux pour une personne arrêtée par un service de police d’importance dans la région métropolitaine de Montréal, alors que ni la température, ni la circulation ne sont en cause. De plus, aucun incident imprévisible ou inattendu ne peut expliquer ces délais à première vue déraisonnables. Seule la gestion des affectations du personnel par le service de police pour l’utilisation des sept ou huit techniciens qualifiés au service du corps de police, et la procédure à suivre pour demander l’assistance d’un autre corps de police, expliquent ces très longs délais. »

La personne responsable des effectifs ce soir-là explique « qu’il n’est pas irrégulier ou anormal de ne pas avoir de technicien qualifié en devoir sur un quart de travail. Il n’y a aucune norme pour ce service de police qui dessert plusieurs municipalités de la Rive-sud de Montréal exigeant la présence d’un technicien qualifié par quart de travail. Ils essaient quand même de faire en sorte qu’il y en ait au moins un pour chacune des cinq équipes de relève.

Malgré le fait qu’il y a sept ou huit techniciens qualifiés pour ce service de police pour cinq équipes de relève, il n’est pas irrégulier ou anormal de ne pas en avoir en devoir sur un quart de travail. Aucune règle n’empêche les techniciens de prendre un congé malgré ses assignations. Aucune règle ne permet à l’officier responsable de refuser un congé demandé en raison du fait que le policier est le seul technicien qualifié assigné pendant un quart de travail spécifique.

De plus, lorsqu’aucun technicien qualifié n’est en devoir sur un quart de travail et lorsque la présence d’un technicien qualifié est requise en raison d’une arrestation, l’officier responsable doit communiquer avec chacun des techniciens qualifiés en congé afin de lui demander de se rendre au poste de police en temps supplémentaire afin d’agir comme technicien qualifié. Cependant, aucune règle n’empêche les policiers de refuser cette affectation en temps supplémentaire.

Il y a une procédure concernant les dossiers de conduite avec les capacités affaiblies qui inclut une procédure à suivre obligatoirement concernant les besoins en technicien qualifié en alcootest. La procédure à suivre est la suivante :

1. Premièrement, elle doit vérifier parmi les policiers patrouilleurs en devoir si l’un d’eux est technicien qualifié en alcootest. Si c’est le cas, elle lui demande de revenir au poste de police afin d’agir comme technicien qualifié;

2. Deuxièmement, s’il n’y en a pas, elle doit appeler les techniciens qualifiés qui ne sont pas en devoir afin de leur demander de reprendre du service en temps supplémentaire;

3. Troisièmement, si aucun n’accepte, elle doit faire appel à la Sûreté du Québec;

4. Quatrièmement, si les démarches précédentes n’ont eu aucun succès, elle doit demander l’assistance d’un des services de police aux alentours. »

La responsable des effectifs témoigne à l’effet qu’elle a suivi la procédure applicable la nuit des événement et « que cette procédure est en place pour des considérations économiques. C’est une question de coûts rattachés aux services. La Sûreté du Québec fournit un service de recours à leurs techniciens qualifiés sans aucun coût pour les autres services de police. Par contre, il y aurait des coûts pour faire appel aux services des techniciens qualifiés d’un autre service de police. »

De plus, elle confirme qu’il « n’y avait aucun technicien qualifié en devoir cette nuit-là pour leur service de police.
Elle a communiqué avec chacun des techniciens qualifiés du service de police qui n’était pas en devoir afin de demander à chacun s’il acceptait une assignation urgente en temps supplémentaire afin d’agir comme technicien qualifié.

Il y avait sept ou huit techniciens qualifiés pour l’ensemble du service de police la nuit des événements. Elle a communiqué avec chacun d’eux mais ils ont tous refusé l’assignation proposée en temps supplémentaire, puisqu’ils ont le droit de refuser cette assignation. Elle estime que cela lui aurait pris environ 30 minutes pour le faire. Elle a expliqué que ce serait le délai normal pour faire le tour de la liste.

Suite à ces démarches, aucun des techniciens qualifiés n’est disponible pour se rendre au poste de police.
Selon la procédure établie, elle doit demander l’assistance de la Sûreté du Québec. Il s’agit d’un service commun pour tous les services de police de la province de Québec. Elle compose un numéro pour rejoindre une centrale d’appel.

Elle doit répondre à quelques questions et reçoit un numéro séquentiel avant d’être mise en attente. »

Elle témoigne devant la Cour que « cette mise en attente varie toujours entre 30 et 45 minutes. Après la fin de cette attente, le responsable du centre de service les informe de la disponibilité, ou non, d’un technicien qualifié, et si disponible, à quel endroit et dans quel délai il est disponible.

Elle explique que suite à la réponse de la Sûreté du Québec, il lui revient de décider si elle accepte, ou non, leur assistance. Par exemple, si le technicien disponible se trouve dans un poste de police trop éloigné, ou encore, si aucun technicien n’est disponible avant un certain délai qu’elle juge déraisonnable, elle refuse l’assistance de la S.Q..

Ce n’est qu’en dernier recours que la procédure prévoit de faire appel à un autre service de police.

Dans le cas qui nous concerne, suite à la réponse de la répartition de la S.Q., un technicien était disponible au poste de la Sûreté du Québec de Cartier-Champlain à Longueuil.

Elle a avisé les agents qu’ils devaient se rendre au poste de la Sûreté du Québec de Cartier-Champlain à Longueuil. Ce qu’ils ont fait.

Elle explique qu’en dernier recours, si les démarches auprès de la Sureté du Québec étaient infructueuses, elle aurait pu demander l’assistance d’un autre service de police aux alentours. »

Cette façon de procéder a fait en sorte que le premier prélèvement d’haleine n’a pu être effectué avant 5h50 alors que la demande d’un technicien qualifié avait été formulée à 4h01, « soit une heure et 49 minutes plus tôt. Ce délai total est franchement déraisonnable, même en considérant l’ensemble de toutes les circonstances et des explications fournies.

Le délai pendant lequel les patrouilleurs et l’accusé attendent qu’un technicien qualifié soit disponible est déraisonnable et est entièrement la conséquence de l’affectation des ressources policières, des règles concernant le rappel des policiers en congé, et de la procédure rigide mise en place par le service de police pour trouver un technicien qualifié.

Les patrouilleurs ont expliqué qu’ils étaient en mode attente de 4 h 28 à 5 h 10, soit pendant 42 minutes, ce qui est déjà, compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, déraisonnable, pour un service de police du grand Montréal, et alors que ni la température, ni la circulation, ni aucun incident imprévisible ou inattendu n’est en cause.
Mais selon la Cour le délai d’attente est beaucoup plus long que cela en réalité. »

En effet, le policier fait la demande d’assistance pour un technicien qualifié à 4h01. « C’est à ce moment que débutent les démarches pour trouver un technicien qualifié. Démarches qui feront en sorte que ce n’est qu’à 5 h 19 qu’ils quittent pour le poste de la S.Q., soit une heure et 18 minutes plus tard. Et ce n’est qu’à 5 h 41 que l’accusé sera pris en charge par un technicien qualifié, soit plus de 22 minutes plus tard, pour un total de 1 heure 40 minutes. »

« On peut certainement considérer que les délais compris entre le moment de la prise en charge de l’accusé par un technicien qualifié, à 5 h 41, jusqu’aux deux prélèvements à l’aide d’un alcootest, soit à 5 h 50 et à 6 h 12, ne sont pas déraisonnables compte tenu des explications fournies par le technicien qualifié.

La gestion des affectations du personnel du service de police, et surtout, la procédure obligatoire rigide mise en place pour trouver un technicien qualifié est clairement responsable des délais déraisonnables dans cette affaire.

Un service de police n’a pas l’obligation d’affecter un technicien qualifié en tout temps au poste de police. Il n’y a pas d’obligation non plus de s’assurer qu’au moins un technicien qualifié soit en devoir sur une des équipes de patrouille. Il suffit simplement que les mesures en place permettent de prélever les échantillons d’haleine dans un délai raisonnable. »

Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit le soir des événements.

« Dans le cas sous étude, la procédure rigide mise en place va probablement entraîner plus souvent qu’autrement des délais déraisonnables compte tenu de sa conception. »

« Il faut prévoir environ 30 minutes pour tenter de rejoindre sept ou huit techniciens qualifiés qui ne sont pas en devoir. Considérant qu’il n’y a aucune obligation pour l’un d’entre eux d’accepter l’assignation à la dernière minute en temps supplémentaire, il n’est pas surprenant, voire probable, que les démarches de l’officier responsable se solderont par un échec. Comment penser qu’il est probable qu’un policier en congé qui se fait réveiller en pleine nuit acceptera de se rendre au poste de police pour quelques heures de temps supplémentaire pour accommoder le service de police. Ce qui est arrivé cette nuit-là était clairement prévisible et probable.

De plus, la procédure exige que par la suite, après ces démarches infructueuses qui prennent normalement 30 minutes, l’officier responsable doit communiquer obligatoirement avec la centrale d’appel de la S.Q., et une attente de 30 à 45 minutes est normale avant même d’avoir une réponse quant à la disponibilité ou non d’un technicien qualifié.

Par conséquent, il y aura systématiquement un délai de 60 à 75 minutes avant même d’avoir une réponse de la S.Q.. Si on ajoute à ces longs délais, ceux qui sont normaux et prévisibles pour que les policiers procèdent aux vérifications de la sobriété du conducteur, puis l’arrestation, la fouille, la lecture des droits constitutionnels, le menottage, et l’installation du détenu dans l’auto-patrouille, il y aura probablement des délais totaux de plus de 90 minutes avant même de savoir si un technicien qualifié est disponible avec la S.Q.. À ce délai il faut ajouter un délai prévisible pour le transport du détenu vers un poste de la S.Q., et un autre délai prévisible pour les étapes préparatoires à l’utilisation de l’alcootest par le technicien qualifié.

Dans ce contexte, les policiers se retrouvent probablement toujours près de la limite ultime de deux heures au moment du premier prélèvement. Tout ceci sans qu’il n’y ait quel qu’incident imprévisible que ce soit, sans que la mauvaise température ou la circulation ne soit en cause. Dans ce contexte, c’est clairement un pari risqué de penser que le premier échantillon pourra être prélevé pas plus de deux heures après la conduite d’un véhicule.

Il est clair que, dans ce contexte, la procédure en place manque de souplesse et entraîne des délais déraisonnables.

La Cour est bien consciente que les policiers n’ont pas l’obligation de prélever les échantillons le plus rapidement possible. Mais entre le faire le plus rapidement possible et le faire systématiquement à la limite du délai ultime de deux heures sans qu’aucun incident imprévisible ne soit en cause, il y a un large spectre. »

De plus, il ne faut pas oublié que plusieurs postes de police se trouvent à proximité du premier poste de police où l’accusé avait été amené au départ.

« Mais selon la chaîne d’ordres à respecter, l’officier responsable n’est pas autorisé à demander l’assistance d’un de ces services de police avant d’avoir épuisé toutes les options décrites précédemment, et ce, peu importe le délai déjà écoulé.

Malheureusement, ces étapes ne tiennent pas compte de l’assistance qui serait la plus proche ou la plus rapide. De plus, ces étapes n’ont pas la souplesse permettant à l’officier responsable de sauter une étape en cas d’urgence, ou encore ne permettent pas de commencer une autre étape pendant l’attente d’un retour d’appel qui prend de 30 à 45 minutes.

Par exemple, pourquoi l’officier responsable ne pourrait-elle pas loger un appel à la S.Q. dès le début des démarches pour tenter de trouver un technicien qualifié qui n’est pas en devoir afin que l’attente de 30 à 45 minutes se fasse concurremment avec les démarches téléphoniques qui peuvent prendre jusqu’à 30 minutes? Cette simple modification à la procédure permettrait de réduire d’au moins 30 minutes le délai total.

Autre exemple. Pourquoi ne pas permettre à l’officier responsable de déroger à la procédure en cas d’urgence, lorsque les délais sont déjà considérés trop longs. L’officier pourrait alors communiquer avec les postes de police avoisinants pour trouver un technicien qualifié disponible afin de s’assurer que les prélèvements se fassent dans un délai raisonnablement court.

Avec respect pour ce service de police, la Cour considère que la procédure rigide et ne souffrant d’aucune exception entraîne des délais déraisonnables qui ne sont aucunement justifiables pour un service de police du grand Montréal.

La Cour peut comprendre que dans un autre contexte, que ce soit en raison de la région rurale où un service de police doit opérer, ou encore lorsque la météo fait des siennes, ou que la circulation est dense, de plus longs délais peuvent être raisonnables. Mais ici, aucun incident imprévisible n’était en cause et la municipalité de Saint-Constant n’est pas située en zone rurale mais plutôt en première couronne de banlieue de Montréal.

Par conséquent, la Cour conclut que ces délais sont complètement déraisonnables, compte tenu de toutes les circonstances. »

3) Est-ce que le délai entre « le moment où les agents sont informés qu’ils doivent se rendre au poste de la Sûreté du Québec et l’heure du départ » est raisonnable?

L’on parle ici d’un délai de 9 minutes.

Questionné à ce sujet, un des policiers « a reconnu ne pas se souvenir pourquoi ils n’ont pas quitté immédiatement. Il présume, sans en avoir de souvenir précis, qu’ils devaient se préparer à quitter. La Cour ne voit aucunement de quelle préparation il est question puisque les événements surviennent au mois d’août. La période de l’année où surviennent les événements ne peut expliquer ce délai. De plus, aucun incident n’est survenu, notamment avec l’accusé qui est coopératif.

La Cour considère ce délai supplémentaire déraisonnable, considérant l’ensemble des circonstances. Les patrouilleurs ont reconnu qu’ils étaient en mode attente pendant au moins 42 minutes avant qu’on leur dise qu’ils devaient se rendre au poste de police de la S.Q. à Longueuil. Compte tenu des délais très longs et anormaux jusqu’à ce moment-là, il est très surprenant que les agents n’agissent pas promptement en gardant à l’esprit la limite ultime de deux heures pour prélever le premier échantillon.

En effet, il y avait déjà 77 minutes d’écoulées, et les agents savaient qu’un trajet en auto d’environ 20 minutes était requis avant d’atteindre leur destination, et que le technicien qualifié aurait nécessairement besoin d’un certain délai pour franchir les étapes préparatoires à l’utilisation de l’alcootest. Les agents ne pouvaient ignorer que le risque devenait de plus en plus grand de ne pas pouvoir réussir à prélever le premier échantillon d’haleine avant le délai ultime de deux heures.

Dans ce contexte, la Cour considère que ce délai supplémentaire, pour lequel aucune explication n’a été fournie, est également déraisonnable compte tenu des circonstances.

Il est vrai que la poursuite n’a pas l’obligation de présenter une preuve expliquant de façon détaillée, minute par minute, l’intervention policière; Il est également vrai qu’il n’est pas requis pour les forces policières d’agir le plus rapidement possible.

Les agents ont expliqué qu’ils étaient en mode « attente » de 4h28 à 5h10.

Mais les agents n’ont pas agi de façon raisonnable en prolongeant sans raison valable une attente déjà trop longue avant d’obtenir les services d’un technicien qualifié, en prenant le risque sérieux que le premier prélèvement ne puisse se faire avant la fin de l’ultime limite maximale de deux heures au-delà de laquelle la poursuite perd automatiquement le bénéfice de la présomption. »

CONCLUSION ET DÉCISION

« Lorsque l’on considère tous les délais, considérant l’ensemble des circonstances de la chaîne des événements, la Cour ne peut que constater que les délais sont carrément déraisonnables. Les échantillons n’ont pas été prélevés dès qu’il était matériellement possible de le faire.

Les délais, variant entre une heure et cinquante-sept minutes et deux heures et une minute, entre la fin de la conduite du véhicule par l’accusé et le premier prélèvement d’un échantillon d’haleine, sont complètement déraisonnables, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les explications fournies pour tenter de justifier ces délais. »

La Cour indique également que le délai de plus d’une heure quarante entre la demande d’assistance d’un technicien et la prise « en charge par un technicien qualifié sont extrêmement longs et anormaux pour une personne arrêtée par un service de police d’importance dans la région métropolitaine de Montréal, alors que ni la température, ni la circulation ne sont en cause, ni aucun incident imprévisible ou inattendu. Seule la gestion des affectations du personnel par le service de police, et la procédure à suivre pour demander l’assistance d’un autre corps de police expliquent ces trop longs délais.

Il est vrai que la poursuite a présenté des témoignages afin de fournir des explications pour tenter de justifier les délais. Mais la Cour, considérant l’ensemble de toutes les circonstances discutées précédemment, conclut que les explications fournies ne rendent pas raisonnables les délais en cause, bien au contraire. »

Par conséquent, le Juge « déclare que l’ensemble de la preuve ne peut convaincre que le premier échantillon d’haleine a été prélevé pas plus de deux heures après la fin de la conduite du véhicule par l’accusé », « que les échantillons d’haleine n’ont pas été prélevés dès que matériellement possible » et « que la présomption d’identité édictée à l’alinéa 258(1)c)ii du Code criminel ne s’applique pas. »

L’accusé est donc acquitté d’avoir conduit son véhicule moteur avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

Référence: La Reine c. Tremblay – cause 505-01-159188-198

Jugement du 9 juin 2020 par l’Honorable Juge Marco Labrie de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale du district de Longueuil

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