Dans la présente affaire, l’accusé est acquitté de garde et contrôle de son véhicule moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 mg d’alcool par 100 ml de sang au motif que son véhicule n’était plus fonctionnel et ne représentait aucun risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.
Alors qu’il est en patrouille, un policier aperçoit un véhicule accidenté vers 2h40 du matin. L’accusé s’approche du policier et lui indique qu’il a eu un accident et qu’il attend les services d’une remorqueuse depuis plus de 30 minutes. À ce moment-là, le policier remarque que l’accusé a son cellulaire à la main.
Suite à son enquête, le policier place l’accusé en état d’arrestation pour alcool au volant et les tests d’alcoolémie révèlent des taux de 183 et 185 mg d’alcool par 100 ml de sang.
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LES FAITS DE LA CAUSE
« L’infraction de garde ou contrôle d’un véhicule routier est incluse à celle de conduite d’un tel véhicule. » Il s’agit donc ici de déterminer si l’accusé avait la garde et contrôle de son véhicule lorsque le policier « a constaté les faits qui ont mené à son arrestation.
Les faits pertinents retenus par le tribunal sont les suivants. Ils émanent tous des témoins de la poursuite puisque le défendeur n’a pas témoigné à son procès. »
Lors d’une patrouille de nuit, le policier « aperçoit un véhicule stationné en oblique dans la rue et ce véhicule est endommagé. La roue avant droite est appuyée sur le bord du trottoir, tandis que la roue arrière droite est à environ 1,5 m du même trottoir. Les feux de détresse sont en fonction et le coussin gonflable du côté du passager est déployé. »
Selon le policier, « la roue avant droite du véhicule est brisée et bien qu’elle soit toujours accrochée au véhicule, elle n’est plus dans le bon angle, elle est en oblique. Selon lui, le véhicule « ne pouvait clairement plus rouler ».
La rue où se trouve le véhicule accidenté longe les terrains de l’hôpital Douglas; ce sont pratiquement des champs de gazon. Il y a un abribus au coin de la rue et l’endroit est éclairé par des lumières de rue.
Il aperçoit le défendeur qui est à proximité, sur le gazon, téléphone cellulaire à la main. Le défendeur est aussi en possession des clés du véhicule. »
Dès que le policier sort de son véhicule, « le défendeur s’avance et s’adresse à lui en ces termes : « j’ai pas mes pneus d’hiver, j’ai eu un accident »; « j’ai appelé une remorqueuse et ça fait plus d’une demi-heure que j’attends ».
Bien que l’agent remarque une odeur d’alcool qui émane du défendeur et qui l’a conduit à entamer une enquête de conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool, le défendeur ne semble pas très intoxiqué et n’est pas incohérent. Il parle normalement, il est coopératif, il comprend les consignes et il est calme. »
QUESTIONS EN LITIGE
Il y a 2 questions en litige à être analyser par la Juge dans la présente cause :
1) Est-ce que l’accusé avait la garde et contrôle de son véhicule selon les enseignements de l’arrêt Boudreault de la Cour suprême?
2) « Dans la négative, y a-t-il une preuve convaincante hors de tout doute raisonnable de l’heure à laquelle l’accident est survenu permettant de faire jouer la présomption d’identité prévue à l’article 258(1)c) du Code criminel, et ce, dans le cadre de la conduite du véhicule? »
LE DROIT APPLICABLE
1) Est-ce que l’accusé avait la garde et contrôle de son véhicule selon les enseignements de l’arrêt Boudreault de la Cour suprême?
« Les éléments essentiels de l’infraction de garde ou contrôle sont les suivants :
1) une conduite intentionnelle à l’égard d’un véhicule à moteur;
2) par une personne dont l’alcoolémie dépasse la limite légale;
3) dans ces circonstances entraînant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.
C’est ce troisième critère qui est ici en litige. En effet, compte tenu, notamment de l’état du véhicule et du comportement du défendeur, existe-t-il un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien?
Le tribunal est d’avis que non, pour les motifs suivants.
D’après l’arrêt Boudreault, ce que le législateur a voulu prévenir, c’est le risque de danger pour la sécurité publique. Ce risque doit être réaliste, et non seulement possible en théorie, ni même probable ou sérieux. C’est un critère peu rigoureux. Ce risque dont on parle c’est que le véhicule soit mis en mouvement. En l’absence d’une intention de conduire, cela peut arriver de l’une des trois façons suivantes :
1) le conducteur peut changer d’idée et prendre le volant;
2) le véhicule peut être mis en mouvement de façon involontaire;
3) un véhicule stationnaire ou qui n’est pas en état de fonctionner peut mettre des personnes ou des biens en danger.
Et, au paragraphe 49 de l’arrêt Boudreault, on lit :
L’accusé peut échapper à une déclaration de culpabilité, par exemple, en présentant des éléments de preuve selon lesquels le véhicule à moteur était hors d’état de rouler, ou positionné de telle sorte qu’il n’y avait pas de circonstances raisonnablement concevables dans lesquelles il aurait pu présenter un risque de danger. […]
Bien qu’ici l’accusé n’ait pas témoigné, il existe bel et bien des éléments de preuve selon lesquels le véhicule à moteur était hors d’état de circuler. »
En effet, lors du témoignage du policier, il indique à la Cour que « selon lui, le véhicule ne pouvait clairement plus rouler ».
« Une telle affirmation, fondée sur l’observation que la roue avant droite est en oblique, possède les attributs nécessaires de crédibilité et de fiabilité pour que le tribunal la retienne.
D’ailleurs, nulle part ailleurs dans l’ensemble de la preuve présentée, cette affirmation n’a été mise en doute.
Ceci amène le tribunal à conclure qu’il y a une absence de risque que le véhicule ne soit mis en mouvement, soit volontairement, soit involontairement. La preuve permet également de conclure que le défendeur n’avait pas l’intention de conduire puisqu’il avait fait appel à une remorqueuse et qu’il n’a posé aucun geste à l’égard du véhicule. Son plan allait sans doute être suivi puisque cela faisait plus d’une demi-heure qu’il attendait la remorqueuse. Rien dans la preuve ne permet d’affirmer qu’il aurait pu changer d’idée et prendre le volant. L’eut-il fait, le véhicule n’aurait pas pu être déplacé.
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La présente affaire se distingue, au plan factuel, des décisions citées par la poursuivante dans ses notes et autorités. En général, dans ces décisions, l’état du véhicule ne l’empêchait pas de rouler, une fois sorti d’une fâcheuse position.
Par exemple, dans l’arrêt Drakul, le véhicule était simplement enlisé dans un banc de neige. Il pouvait reprendre la route une fois extirpé du banc de neige.
Dans l’arrêt MacMillan, il s’agissait d’une sortie de route partielle, le véhicule étant à moitié dans le fossé, à moitié sur la route. La Cour d’appel de l’Ontario a décidé qu’un risque existait puisqu’une fois le véhicule sorti de sa position fâcheuse et remis sur la route, l’accusé pouvait changer d’idée et prendre le volant et partir ou encore mettre le véhicule en mouvement par inadvertance.
Dans l’arrêt Singh, il s’agissait d’un véhicule dans un fossé avec une crevaison qui avait fait sortir le pneu de la jante. Le juge en vient à la conclusion que le véhicule aurait pu être opéré une fois sorti du fossé. En outre, l’accusé a tenté de payer une personne arrivée sur les lieux pour qu’elle l’aide à trouver quelqu’un qui le sortirait de là.
Il reste à déterminer ici, si la position du véhicule stationnaire qui n’est pas en état de fonctionner, pose un risque de danger pour des personnes ou des biens. Certains détails sur la configuration et la fréquentation des lieux ont transpiré pendant le procès. On sait que le véhicule est stationné en oblique et que l’arrière du côté droit est à environ 1,5 mètres du trottoir. Il est stationné dans un secteur éclairé, peu achalandé à cette heure tardive.
Le policier témoigne à l’effet qu’il « n’y a personne à cette heure-là » et que l’emplacement où se trouve le véhicule de l’accusé est entouré de champs. De plus, il précise que « les feux de position sont en fonction. »
« Sur la base de ces éléments, le tribunal est d’avis que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver qu’il existait des circonstances raisonnablement concevables dans lesquelles ce véhicule aurait pu présenter un risque de danger pour des personnes ou des biens.
La poursuite a en outre plaidé la notion d’abandon du véhicule, précisant que le défendeur n’avait pas abandonné le sien, puisqu’il se tenait toujours à proximité, clés en mains. Les décisions plaidées au soutien de cet argument datent d’avant l’arrêt Boudreault et le risque réaliste de danger n’y a pas été évalué. Elles sont difficilement applicables en l’espèce.
En l’absence d’une preuve hors de tout doute raisonnable de l’existence d’un risque réaliste de danger, le tribunal conclut que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver que le défendeur avait la garde ou le contrôle de son véhicule au sens de l’arrêt Boudreault. »
2) Est-ce qu’il y a « une preuve convaincante hors de tout doute raisonnable de l’heure à laquelle l’accident est survenu permettant de faire jouer la présomption d’identité prévue à l’article 258(1)c) du Code criminel, et ce, dans le cadre de la conduite du véhicule? »
« Le premier échantillon d’haleine du défendeur a été prélevé à 4 h 8. Pour que la présomption d’identité s’applique, ce premier test doit avoir eu lieu pas plus de deux heures après le moment de l’infraction.
La question qui se pose en l’espèce, considérant que le tribunal a conclu que le défendeur n’avait pas la garde ou le contrôle de son véhicule, à l’heure où l’agent a fait ses observations, c’est : Y a-t-il une preuve hors de tout doute raisonnable qu’il ait conduit son véhicule à 2 h 8 ou après? »
Non.
La preuve révèle que le policier « est arrivé sur les lieux de l’accident vers 2 h 40 et qu’il s’est inscrit à l’ordinateur de bord à 2 h 43. Le défendeur lui a dit, notamment à son arrivée, que cela faisait plus de 30 minutes qu’il attendait la remorqueuse. » Ainsi, le policier « situe l’accident entre 2 h et 2 h 40. »
CONCLUSION
« En l’absence d’une preuve hors de tout doute raisonnable que l’accident soit survenu moins de deux heures avant le premier test à l’éthylomètre, la présomption d’identité ne s’applique pas. Sans l’effet de la présomption d’identité, les résultats d’analyse perdent leur valeur probante et en l’absence d’autre preuve, ils ne permettent pas de conclure hors de tout doute raisonnable que l’alcoolémie du défendeur était la même que celle révélée par les résultats d’analyse, au moment de l’infraction. »
L’accusé est donc acquitté.
Référence : La Reine c. Quirion – cause 1180946-150
Jugement du 17 juin 2020 par l’Honorable Juge Sophie Beauchemin, Cour municipale de Montréal