Acquittement Alcool au Volant – Jugement du 30 novembre 2023

Non coupable pour conduite facultés affaiblies alcoolémie 130 mg

Dans la présente cause, l’accusée est acquittée d’avoir conduit avec plus de 80 mg d’alcool dans le sang car les policiers n’ont pas respecté son droit de consulter un avocat sur les lieux de l’arrestation, tel que prévu par la Charte canadienne des droits et libertés.

Suite à l’audition de la preuve dans ce dossier, le Juge conclut que les policiers n’ont pas bien informés l’accusée qui désirait parler avec son avocat suite à son arrestation. Par conséquent, le Juge exclut toute la preuve obtenue contre l’accusée suite à son arrestation, dont le résultat des tests d’alcoolémie.

LES FAITS ET LA PREUVE

Suite à une sortie de route par l’accusée, les policiers arrivent sur les lieux et dénotent une odeur d’alcool. Ils procèdent alors à un test de dépistage à l’aide de l’appareil de détection d’alcool approuvé (ADA) et l’accusée échoue ce test (résultat FAIL) à 4:14 am.

Suite à cet échec, elle est mise immédiatement en état d’arrestation. Un des agents lui lit ses droits et l’accusée indique immédiatement qu’elle désire communiquer avec son avocat, le tout à 4:18 am.

L’agent lui dit alors qu’elle pouvait téléphoner son avocat avec son propre cellulaire à l’arrière du véhicule patrouille mais qu’il ne pouvait « lui garantir que l’appel sera confidentiel. Suivant ce commentaire, l’accusée comprend que les policiers vont rester à l’intérieur du véhicule durant l’appel. Elle n’appelle pas immédiatement l’avocat et mentionne vouloir attendre au poste ».

Ce n’est qu’à 4:45 am, une fois rendue au poste de police, que l’accusée a finalement parlé avec son avocat, soit plus de 27 minutes après en avoir fait la demande !

Après avoir parlé avec son avocat, l’accusée répond aux questions posés par l’agent afin de compléter le document intitulé « scénario de consommation ».

Par la suite, la prévenue se soumet aux tests d’ivressomètre et obtient deux résultats de 130 mg d’alcool dans le sang.

 

LA POSITION DES PARTIES

La défense demande l’exclusion des tests et du scénario de consommation, plaidant que les policiers ont violé le droit de l’accusé de consulter un avocat sur les lieux de l’arrestation en ne prenant pas les moyens disponibles et nécessaires afin que celle-ci puisse exercer son droit à l’avocat.

La poursuite plaide à l’effet que l’accusée a eu l’opportunité de consulter son avocat en toute confidentialité au poste de police avant le scénario de consommation et les tests d’alcoolémie et que, par conséquent, il n’y a pas de violation du droit à l’avocat.

QUESTIONS EN LITIGE

La question en litige dans la présente cause, telle que définie par le Juge est la suivante : « Est-ce que le droit à l’avocat de l’accusée a été violé lorsque les policiers ont offert à l’accusée de contacter son avocat avec son cellulaire en lui mentionnant ne pas pouvoir garantir la confidentialité dans le véhicule patrouille? »

Et si la Cour en vient à la conclusion qu’il y a violation, est-ce que la preuve obtenue suite à cette violation doit être exclue?


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ANALYSE PAR LE JUGE

Le Juge s’exprime ainsi lors de son analyse de la cause :

« [25] Comme le mentionne la Cour d’appel dans Tremblay, notons d’entrée de jeu que l’importance du droit à l’avocat n’est plus à démontrer. Ce droit prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d’être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations.

[26] Détenue par les représentants de l’État, cette personne est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci; privée de sa liberté, elle risque de s’incriminer. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police.

[27] Dans les circonstances qui nous occupent, la première occasion raisonnable d’avoir accès à un avocat s’est matérialisée sur les lieux de l’accident à l’intérieur du véhicule patrouille suivant le résultat du prélèvement à l’aide de l’ADA alors que les policiers ont effectivement lu la carte du droit à l’accusée. Il aura fallu 27 minutes supplémentaires pour que l’accusée parle avec son avocat au poste et donc pas à la première occasion raisonnable. »

Il faut rappeler ici que dès que les policiers demandent à l’accusée si elle désire consulter un avocat sur place, elle indique immédiatement qu’elle désire parler avec son avocat et que ce n’est qu’une fois que les policiers lui indique qu’ils ne peuvent garantir la confidentialité de l’appel que l’accusée indique qu’elle parlera à son avocat au poste de police.

« [29] L’accusée croit alors qu’elle n’a que deux options. Soit faire l’appel devant les policiers ou attendre au poste. Le témoignage des policiers valide cette impression.

[31] Ils diront que même s’ils sortaient du véhicule pour laisser l’accusée à l’intérieur, ils auraient entendu au moins partiellement la conversation car ils auraient dû rester près du véhicule pour garder un contact sur l’accusée si elle avait eu la mauvaise idée de tenter de traverser à l’avant pour voler le véhicule. Ils témoigneront par contre avec franchise qu’aucun indice ne laissait présager pareille situation puisque l’accusée était calme, polie et collaboratrice.

[32] Les policiers diront qu’ils ne pouvaient la laisser sortir du véhicule en restant eux à l’intérieur car elle n’était pas menottée et qu’elle aurait pu se sauver. Encore là rien ne laissait présager pareille fuite.

[33] Dans une décision récente soit l’affaire Paradis, la Cour supérieure nous enseigne que le droit à l’avocat à la première occasion raisonnable n’est pas respecté lorsqu’un policier offre le droit à l’avocat sur les lieux de l’arrestation mais ajoute que si l’accusée souhaite que la conversation avec l’avocat soit confidentielle, il devra attendre au poste. »

Une fois qu’un accusé demande à consulter un avocat sur les lieux de l’arrestation, les policiers doivent mettre en œuvre le droit à l’avocat immédiatement, dans des conditions propres à la situation présente lors de l’arrestation.

« [45] Comme dans l’affaire Tremblay, dans leur témoignage, les policiers exposent des possibilités théoriques qui ne collent pas à la présente situation. Dans les faits, l’accusée se comporte avec politesse et collabore. Elle n’est pas menottée et les symptômes décrits par les policiers sont légers. La preuve ne démontre pas de risque pour la sécurité ni un danger de fuite. Il n’y a pas d’urgence. »

Le fait que l’accusée a pu communiquer avec son avocat au poste de police ne change rien. Le droit de l’accusée de consulter un avocat immédiatement, sur les lieux de l’arrestation avait déjà été violé.

« [47] En effet, dans Paradis, la Cour supérieure nous enseigne que les considérations pertinentes ne concernent pas l’analyse des circonstances entourant la mise en application du droit à l’avocat au poste, mais bien au moment de son arrestation au bord de la route. Que l’accusée ait finalement parlé à son avocat au poste n’a aucune incidence sur la gravité de la violation. »

Le Juge conclut, suite à son analyse, qu’il y a eu violation du droit à l’avocat et que les résultats d’alcoolémie et le scénario de consommation ont été obtenus en violation à ce droit prévu à la Charte canadienne des droits et libertés.

Une fois que le Juge ait conclu à une violation, il doit maintenant déterminer s’il exclut de la preuve les éléments obtenus suite à cette violation du droit à l’avocat.

À ce sujet, il s’exprime de la façon suivante : « [49] Lorsque le Tribunal conclut que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la Charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[50] La Cour suprême dans l’arrêt Grant, expose les facteurs d’analyse : l’appréciation de la gravité de la conduite attentatoire de l’État; l’examen de l’incidence de la violation sur les droits; l’appréciation de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond; la mise en balance de l’ensemble de ces facteurs. »

« [52] Concernant l’appréciation de la gravité de la conduite attentatoire de l’État, lorsque les policiers ne se soucient pas pleinement d’un droit dont ils ont l’obligation de connaître la portée, les tribunaux en ayant traité régulièrement et abondamment depuis plusieurs années, le Tribunal doit se dissocier d’une telle conduite qui déconsidère l’administration de la justice.

[53] Les pratiques bien ancrées qui visent à reporter de façon systématique l’exercice du droit à l’avocat au poste de police pour des motifs hypothétiques, d’impossibilité pratique ou en raison d’une habitude systémique sont dénoncées par la Cour d’appel. »

« [55] Concernant l’examen de l’incidence de la violation sur les droits, et comme l’écrit le juge Lortie dans Tremblay, il est vrai que l’obtention d’un échantillon d’haleine est relativement non intrusive. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une preuve obtenue en mobilisant l’accusée contre elle-même. Comme l’énonce la juge Sophie Bourque dans Gaétani, le courant fortement majoritaire de la jurisprudence veut qu’en cas de violation de l’article 10 b) de la Charte, la preuve auto-incriminante obtenue en violation du droit constitutionnel soit exclue. Par analogie, cette détermination dans le contexte de l’alcootest trouve ici application. »

« [59] L’absence de mépris ou la bonne foi n’est d’aucun recours pour combler la méconnaissance des policiers de droits constitutionnels établis depuis longtemps. Force est de constater que l’accusation est sérieuse et que sans les preuves émanant de l’accusée, elle sera nécessairement acquittée minimalement sur le chef en lien avec le taux. »

CONCLUSION

Suite à son analyse du droit en vigueur et des circonstances dans le présent dossier, le Juge ordonne l’exclusion des résultats des tests d’ivressomètre (alcoolémie) et du scénario de consommation et l’accusée est donc, par le fait même, acquittée d’avoir conduit avec plus de 80 mg d’alcool dans le sang.

Référence : Le Roi c. Simard – cause 155-01-003501-228

Jugement du 30 novembre 2023 de l’Honorable Juge Jean-François Poirier, J.C.Q., Cour du Québec, chambre criminelle, district de Roberval

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