LâaccusĂ©e subit son procĂšs pour conduite dâun vĂ©hicule Ă moteur alors que sa capacitĂ© de conduire Ă©tait affaiblie par lâalcool et que son alcoolĂ©mie dĂ©passait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, contrairement aux alinĂ©as 253(1)a) et b) du Code criminel.
Lâavocat de la dĂ©fense dĂ©pose une requĂȘte en vertu de lâarticle 10b) de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s plaidant la violation des droits garantis Ă lâaccusĂ©e Ă lâeffet que les policiers nâont pas donnĂ© Ă lâaccusĂ©e lâopportunitĂ© raisonnable de consulter lâavocat de son choix et demande par consĂ©quent lâexclusion de la preuve, en vertu de lâarticle 24(2) de la Charte , soit les rĂ©sultats des prĂ©lĂšvements dâĂ©chantillon dâhaleine effectuĂ©s Ă lâaide de lâivressomĂštre.
LES FAITS
Le 28 avril 2018 Ă Gatineau, les policiers interceptent le vĂ©hicule de lâaccusĂ©e Ă 1 h 49.
AprĂšs certaines observations, lâon ordonne Ă lâaccusĂ©e de se soumettre Ă un test de dĂ©pistage dâalcool Ă lâaide dâun appareil de dĂ©tection approuvĂ©. Madame Ă©choue le test Ă 2 h 01. Les policiers procĂšdent alors Ă son arrestation pour conduite avec les facultĂ©s affaiblies. On lui donne son droit au silence et son droit Ă lâavocat, et on lui ordonne de venir au poste pour se soumettre au prĂ©lĂšvement des Ă©chantillons dâhaleine Ă lâaide dâun ivressomĂštre requis par la loi.
En chemin vers le poste de police, lâaccusĂ©e mentionne aux policiers quâelle a un avocat et que son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone est dans son cellulaire.
Une fois rendu au poste, lâaccusĂ©e est trĂšs Ă©motive. Suite Ă la procĂ©dure dâĂ©crou, les policiers lui offrent de consulter un avocat et lui prĂ©sente la liste des avocats de la rĂ©gion.
LâaccusĂ©e demande Ă consulter un avocat quâelle connaĂźt. Les policiers remettent alors le cellulaire Ă lâaccusĂ©e afin quâelle trouve le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de ce dernier.
Le policier tente de joindre lâavocat de lâaccusĂ©e au numĂ©ro fourni par celle-ci mais il nây a pas de rĂ©ponse. LâaccusĂ©e demande alors Ă ce quâun message tĂ©lĂ©phonique soit laissĂ© sur la boĂźte vocale de celui-ci. Ce message est laissĂ© Ă 2 h 34.
Dans les secondes qui suivent, le policier parle Ă lâaccusĂ©e. Le contenu de leur conversation sera abordĂ© plus loin dans le prĂ©sent article. LâaccusĂ©e consulte, suite Ă sa conversation avec le policier, Ă nouveau la liste des avocats de la rĂ©gion. Ă 2 h 35, donc environ 1 minute aprĂšs avoir laissĂ© un message Ă lâavocat de lâaccusĂ©e, le policier compose le numĂ©ro de lâaide juridique. LâaccusĂ©e consulte alors un avocat de lâaide juridique pendant 3 minutes.
Il est important ici de noter quâaucune autre dĂ©marche ne sera effectuĂ©e en vue de permettre Ă lâaccusĂ©e de consulter son avocat personnel.
Suite Ă la conversation avec lâavocat de lâaide juridique, lâaccusĂ©e est amenĂ©e au local dâalcootest Ă 2 h 41.
LE DROIT APPLICABLE
LâalinĂ©a 10b) de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, stipule que toute personne dĂ©tenue a le droit de recourir Ă lâassistance dâun avocat. Cette disposition impose plusieurs obligations aux policiers afin de permettre lâexercice de ce droit par une personne dĂ©tenue.
En premier lieu, les policiers doivent informer clairement et adĂ©quatement la personne dĂ©tenue sur ses droits ainsi que sur la maniĂšre dâexercer ceux-ci. Il sâagit du volet informationnel.
Par la suite, « les policiers ont lâobligation, sauf en cas dâurgence ou de danger, dâoffrir Ă la personne dĂ©tenue la possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle dâexercer son droit Ă lâavocat. Ainsi, ils doivent lui permettre de communiquer avec lâavocat de son choix ».
Finalement, « sauf en cas dâurgence ou de danger, les policiers doivent sâabstenir de tenter de soutirer Ă la personne dĂ©tenue des Ă©lĂ©ments de preuve, et ce, jusquâĂ ce quâelle ait eu cette possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle dâexercer son droit ».
« La personne dĂ©tenue a le droit de choisir son avocat. Bien que lâalinĂ©a 10b) de la Charte ne prĂ©cise pas explicitement le droit Ă lâavocat de son choix, la Cour suprĂȘme a dĂ©terminĂ© quâil sâagit dâune composante du droit Ă lâavocat »
Le juge en chef Lamer de la Cour suprĂȘme du Canada Ă©nonce, dans lâarrĂȘt la Reine contre Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, que:
« (âŠ) lâaccusĂ© ou le dĂ©tenu a le droit de choisir son avocat et ce nâest que si lâavocat choisi ne peut ĂȘtre disponible dans un dĂ©lai raisonnable quâon doit sâattendre Ă ce que le dĂ©tenu ou lâaccusĂ© exerce son droit Ă lâassistance dâun avocat en appelant un autre avocat. »
Ainsi, « les policiers doivent non seulement offrir Ă la personne dĂ©tenue une opportunitĂ© raisonnable de consulter lâavocat de son choix, mais Ă©galement prendre des mesures pour faciliter lâexercice de ce droit ».
Pour ce faire, les policiers doivent accorder un dĂ©lai raisonnable Ă la personne dĂ©tenue pour joindre lâavocat de son choix. « Cela peut donc impliquer quâon laisse un message Ă celui-ci afin de lui donner la possibilitĂ© de rappeler. Si lâavocat choisi nâest pas disponible dans un dĂ©lai raisonnable, les personnes dĂ©tenues sont censĂ©es exercer leur droit Ă lâassistance dâun avocat en communiquant avec un autre avocat. Sans quoi, lâobligation qui incombe Ă la police dâinterrompre ses questions est suspendue ».
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QUESTIONS EN LITIGE
Dans le prĂ©sent dossier, il sâagit de dĂ©terminer si le droit de lâaccusĂ©e Ă lâassistance dâun avocat a Ă©tĂ© enfreint et, si oui, lâexclusion de la preuve est-elle le remĂšde appropriĂ© ?
Dans la prĂ©sente cause, il nây avait aucune urgence Ă procĂ©der rapidement avec les tests dâivressomĂštre et par consĂ©quent, les policiers pouvaient attendre le retour dâappel de lâavocat de lâaccusĂ©e pendant un certain dĂ©lai au lieu de la faire discuter immĂ©diatement avec un avocat de lâaide juridique. DĂšs quâun message vocal est laissĂ© Ă lâavocat de lâaccusĂ©e, cette derniĂšre est invitĂ©e par les policiers Ă choisir un autre avocat.
LâarrĂȘt de la Cour suprĂȘme du Canada, la Reine contre Prosper, [1994] 3 R. C. S. 236, « rappelle quâen matiĂšre dâaffaires de conduite avec les facultĂ©s affaiblies, lâexistence dâune prĂ©somption en matiĂšre de preuve Ă lâĂ©gard des Ă©chantillons pris dans les deux heures que peut invoquer le ministĂšre public en vertu de lâarticle 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente ».
InterrogĂ© Ă savoir sâil fallait attendre le retour dâappel de lâavocat de lâaccusĂ©e, le policier indique Ă la Cour que lâavocat en question nâest pas un criminaliste mais bel et bien un avocat en droit de la famille et quâil est 2 heures du matin lorsquâun message est laissĂ© sur sa boĂźte vocale. Cette rĂ©ponse du policier laisse entendre un « certain scepticisme » quant Ă lâutilitĂ© de consulter lâavocat de lâaccusĂ©e.
LâaccusĂ©e a pleinement confiance en son avocat personnel. « Le droit canadien reconnaĂźt lâimportance de la relation de confiance entre une personne dĂ©tenue et son avocat. Elle a le droit de consulter un avocat en qui elle a confiance, et non uniquement le droit de consulter nâimporte quel avocat, et ce, pourvu quâelle fasse preuve de diligence raisonnable ».
« La poursuite plaide quâaprĂšs avoir laissĂ© le message tĂ©lĂ©phonique Ă lâavocat choisi par la personne dĂ©tenue, les policiers nâont pas en tant que telle une obligation dâattendre avant de suggĂ©rer de consulter lâaide juridique. Elle se fonde sur lâarrĂȘt la Reine contre Willier, dans le cadre duquel, selon la Cour suprĂȘme, si la personne dĂ©tenue nâarrive pas Ă contacter lâavocat de son choix, le seul fait pour la police dâindiquer au dĂ©tenu quâun avocat de garde est disponible nâenfreint pas le droit Ă lâavocat. Le caractĂšre bref du dĂ©lai entre le message tĂ©lĂ©phonique laissĂ© Ă lâavocat choisi et la poursuite de lâenquĂȘte nâest pas forcĂ©ment dĂ©terminant, comme lâindique la Cour suprĂȘme dans cette affaire ».
« Sommes-nous devant un cas oĂč la police a proposĂ© Ă la requĂ©rante de consulter lâavocat de garde, sans coercition, et oĂč la requĂ©rante a acceptĂ© librement de consulter lâaide juridique? »
Le policier tĂ©moigne quâaprĂšs avoir laissĂ© un message Ă lâavocat de lâaccusĂ©e, il lui demande si elle dĂ©sirait communiquer avec un autre avocat. Il lui indique quâelle pouvait attendre un retour dâappel mais, vu lâheure tardive, il y avait peu de chances que lâavocat retourne lâappel. Selon le policier, « câest lâaccusĂ©e qui lui demande alors de consulter lâaide juridique ».
La Cour ne croit pas son tĂ©moignage. Il « nâa pas pris de note concernant ses Ă©changes avec elle. Il convient quâil ne se rappelle pas des mots utilisĂ©s par la requĂ©rante. Son rĂ©cit est contredit par celui de la requĂ©rante. Au surplus, la vidĂ©o dĂ©posĂ©e en preuve rĂ©vĂšle que le sergent nâa jamais parlĂ© en sâadressant directement Ă la requĂ©rante. Le visionnement de cette vidĂ©o laisse croire quâil nây a eu entre eux aucun Ă©change verbal. Le Tribunal constate que le sergent ne peut donc pas lui avoir dit quâelle pouvait attendre un retour dâappel et quâelle ne lui a donc pas demandĂ© de consulter lâaide juridique ». Le tĂ©moignage du sergent Ă ce sujet est Ă©cartĂ©.
LâaccusĂ©e « tĂ©moigne quâelle ne sâest pas vu offrir lâopportunitĂ© dâattendre un retour dâappel de son avocat. Elle dit quâelle aurait aimĂ© attendre son retour dâappel. Elle convient quâelle ne lâa pas demandĂ© expressĂ©ment, mais affirme que les policiers ne lui disent jamais que câest possible.
Certes, la requĂ©rante ne revendique pas son droit avec beaucoup de vĂ©hĂ©mence, mais il nây a pas lieu de conclure quâelle lâexerce avec nĂ©gligence. Elle collabore tout simplement avec les forces de lâordre ».
La version de lâaccusĂ©e est Ă lâeffet que le policier « se montre insistant pour quâelle consulte un avocat disponible 24 heures sur 24 qui va donc rĂ©pondre immĂ©diatement. Il sâadresse Ă elle gentiment, mais se montre insistant pour quâelle consulte immĂ©diatement. Il dit quâelle doit absolument parler Ă un avocat en vue de la suite des choses. Il lui suggĂšre fortement de parler Ă un avocat qui est disponible immĂ©diatement. Pour lâagent, dit-elle, ça semble important quâelle ait sa consultation juridique tout de suite ». LâaccusĂ©e « tĂ©moigne quâelle croit nâavoir aucun autre choix que de consulter lâaide juridique ».
Si un dĂ©lai raisonnable avait Ă©tĂ© accordĂ© Ă lâaccusĂ©e aprĂšs avoir laissĂ© un message sur la boĂźte vocale de son avocat et voyant quâelle nâavait pas de retour dâappel, elle aurait alors pu choisir librement de communiquer avec un autre avocat. « Les policiers lâont privĂ© de cette possibilité ».
« Le Tribunal constate que la requĂ©rante ne choisit pas librement de consulter lâaide juridique. Elle obtempĂšre tout simplement Ă ce que lâagent lui dit de faire. La collaboration dâun citoyen avec les forces de lâordre ne doit pas ĂȘtre confondue avec la renonciation Ă exercer un droit. Cela nâa pas pour effet dâenlever aux policiers leur obligation dâoffrir Ă la personne dĂ©tenue une possibilitĂ© raisonnable de consulter lâavocat de son choix.
Une personne dĂ©tenue peut renoncer au droit garanti par lâalinĂ©a 10b). Toutefois, selon la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Willier, la dĂ©cision de renoncer au droit Ă lâassistance dâun avocat doit ĂȘtre prise en toute connaissance de cause. Dans lâarrĂȘt Prosper, le juge Lamer explique ainsi les paramĂštres applicables Ă une renonciation valide de lâexercice du droit Ă lâavocat :
« (âŠ) les tribunaux doivent sâassurer quâon nâa pas conclu trop facilement Ă la renonciation au droit Ă lâassistance dâun avocat garanti par la Charte. En fait, jâestime quâil y aura naissance dâune obligation dâinformation supplĂ©mentaire de la part de la police dĂšs que la personne dĂ©tenue, qui a dĂ©jĂ manifestĂ© son intention de se prĂ©valoir de son droit Ă lâassistance dâun avocat indique quâelle a changĂ© dâavis (âŠ)
Compte tenu de lâimportance du droit Ă lâassistance dâun avocat, jâajouterais Ă lâĂ©gard de la renonciation que, dĂšs lors quâune personne dĂ©tenue a fait valoir son droit, il faut quâelle donne par la suite une indication claire quâelle a changĂ© dâavis, et il appartiendra au ministĂšre public dâĂ©tablir quâelle y a clairement renoncĂ© (âŠ) »
Dans les circonstances Ă lâĂ©tude, la requĂ©rante collabore avec les forces de lâordre. Elle ne renonce pas Ă exercer son droit Ă lâavocat au sens de lâarrĂȘt Prosper, ni ne renonce Ă consulter » son avocat personnel.
« Enfin, le Tribunal note que, dans lâaffaire Willier, lâaccusĂ© se disait satisfait de sa consultation juridique avec lâavocat de garde. De mĂȘme, dans lâaffaire McCrimmon, lâaccusĂ© Ă©tait satisfait et prĂ©cisait avoir compris les conseils de lâavocat de garde. Or, de toute Ă©vidence, ce nâest pas le cas en lâespĂšce.
La requĂ©rante tĂ©moigne que, lors de sa consultation avec lâavocat de lâaide juridique, elle ne comprend rien et ne fait que pleurer. Ă lâissue de sa consultation juridique, lâagent Mercier lui demande si ça sâest bien passĂ© et si elle est satisfaite. Elle lui rĂ©pond que la consultation a Ă©tĂ© trop rapide et quâelle nâa rien compris. Notons que la version de la requĂ©rante Ă cet Ă©gard nâest pas contredite. Lâagent Mercier pense effectivement lui avoir posĂ© la question. Toutefois, il ne sait plus ce quâelle a rĂ©pondu. Il nâa pas notĂ© sa rĂ©ponse. Lâagent convient dâailleurs que mĂȘme aprĂšs avoir consultĂ© lâavocat de lâaide juridique, la requĂ©rante montre toujours les mĂȘmes signes dâĂ©motivitĂ©. » Le policier indique Ă©galement Ă la Cour quâil nâa pas proposĂ© Ă lâaccusĂ© de tenter de rejoindre Ă nouveau son avocat personnel ou mĂȘme de consulter un autre avocat de son choix.
« En somme, les policiers ont enfreint le droit de la requĂ©rante Ă lâassistance de lâavocat de son choix. On lui offre la liste des avocats, sachant quâelle en a dĂ©jĂ un et que ses coordonnĂ©es sont dans son cellulaire. Elle souhaite consulter son avocat et fournit le numĂ©ro pour le joindre. Ainsi, elle se montre diligente. DĂšs quâun message est laissĂ© Ă lâavocat choisi, la requĂ©rante est amenĂ©e Ă choisir immĂ©diatement un autre avocat. On ne lui indique pas quâelle peut attendre un retour dâappel. Lâagent se montre insistant pour quâelle consulte un avocat immĂ©diatement, sans attendre de retour dâappel. Or, il nây a aucune urgence. La requĂ©rante est dans un Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©. Câest Ă lâinsistance du policier quâelle accepte de consulter lâaide juridique. Elle croit nâavoir aucun autre choix. Sa conduite nâĂ©quivaut pas Ă une renonciation. Enfin, elle exprime son insatisfaction concernant sa consultation avec lâavocat de lâaide juridique. Elle semble aussi Ă©motive avant quâaprĂšs sa consultation juridique. La rĂ©action du policier est alors de se substituer Ă un avocat en lui donnant des explications lui-mĂȘme. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut quâil y a violation de lâalinĂ©a 10b) de la Charte. »
Il reste maintenant Ă dĂ©terminer si lâexclusion de la preuve est le remĂšde appropriĂ© dans la prĂ©sente cause.
« Les Ă©lĂ©ments de preuve saisis par les policiers ont Ă©tĂ© obtenus dans des circonstances qui portent atteinte Ă la Charte. Le Tribunal doit donc dĂ©terminer si leur utilisation est susceptible de dĂ©considĂ©rer lâadministration de la justice.
Lâanalyse sera faite Ă la lumiĂšre de la dĂ©marche Ă©laborĂ©e par la Cour suprĂȘme dans lâarrĂȘt Grant :
« [71] (âŠ) Ainsi, le tribunal saisi dâune demande dâexclusion fondĂ©e sur le par. 24(2) doit Ă©valuer et mettre en balance lâeffet que lâutilisation des Ă©lĂ©ments de preuve aurait sur la confiance de la sociĂ©tĂ© envers le systĂšme de justice en tenant compte de : (1) la gravitĂ© de la conduite attentatoire de lâĂtat (lâutilisation peut donner Ă penser que le systĂšme de justice tolĂšre lâinconduite grave de la part de lâĂtat), (2) lâincidence de la violation sur les droits de lâaccusĂ© garantis par la Charte (lâutilisation peut donner Ă penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) lâintĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© Ă ce que lâaffaire soit jugĂ©e au fond. Le rĂŽle du tribunal appelĂ© Ă trancher une demande fondĂ©e sur le par. 24(2) consiste Ă procĂ©der Ă une mise en balance de chacune de ces questions pour dĂ©terminer si, eu Ă©gard aux circonstances, lâutilisation dâĂ©lĂ©ments de preuve serait susceptible de dĂ©considĂ©rer lâadministration de la justice. Bien quâelles ne recoupent pas exactement les catĂ©gories Ă©laborĂ©es dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondĂ©e sur le par. 24(2), tels quâils ont Ă©tĂ© formulĂ©s dans Collins et dans la jurisprudence subsĂ©quente. ».
- a) La gravitĂ© de la conduite attentatoire de lâĂtat
Le droit Ă lâavocat de son choix est un droit fondamental qui doit ĂȘtre jalousement protĂ©gĂ©.
En lâespĂšce, lâatteinte Ă lâalinĂ©a 10b) de la Charte nâest pas technique ou mineure. Elle prend ici diffĂ©rentes formes.
La prĂ©cipitation avec laquelle les policiers procĂšdent au prĂ©lĂšvement des Ă©chantillons dâhaleine nâest pas acceptable. Aucun dĂ©lai raisonnable nâest accordĂ© pour permettre un retour dâappel de son avocat. DĂšs quâun message est laissĂ© Ă lâavocat, la lâaccusĂ©e est amenĂ©e Ă choisir immĂ©diatement un autre avocat, sans quâon lui indique quâelle peut attendre un retour dâappel. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette dĂ©marche.
Les policiers contraignent la requĂ©rante Ă consulter lâaide juridique, ce qui nâest pas acceptable dans le cas de lâespĂšce oĂč il nây a pas dâurgence et oĂč la requĂ©rante est dans un Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette dĂ©marche. Que lâavocat choisi par la requĂ©rante soit perçu par les policiers comme Ă©tant compĂ©tent ou non en matiĂšre criminelle ne change rien Ă leurs obligations constitutionnelles. La relation de confiance entre une personne dĂ©tenue et son avocat est personnelle. Il nâappartient pas aux policiers de sâingĂ©rer dans lâexercice de ce choix.
La rĂ©action du policier, face Ă lâinsatisfaction de la requĂ©rante suite Ă sa consultation avec lâaide juridique, est de se substituer Ă un avocat en donnant des explications lui-mĂȘme. Le Tribunal souhaite Ă©galement se dissocier de cette dĂ©marche.
Dans lâarrĂȘt Harrison, la Cour suprĂȘme rappelle que si la dĂ©rogation est flagrante ou si les policiers devaient savoir que leur conduite ne respectait pas la Charte, le Tribunal devrait se dissocier de leur dĂ©marche. Câest exactement le cas en lâespĂšce.
Le Tribunal ne peut pas considĂ©rer les deux policiers comme Ă©tant de bonne foi. Le droit de consulter lâavocat de son choix ne reprĂ©sente pas une question complexe et controversĂ©e. LâĂ©tat du droit est clair sur lâobligation dâaccorder une possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle dâavoir recours Ă lâavocat de son choix. »
« Lâanalyse de ce premier critĂšre milite fortement en faveur de lâexclusion de la preuve.
- b) Lâincidence de la violation sur les droits du requĂ©rant
Le Tribunal considĂšre que la violation de lâalinĂ©a 10b) est grave et quâelle a des impacts importants.
Il ne faut pas sous-estimer lâimportance de la dimension psychologique entourant la restriction du droit Ă lâavocat. Dans R. c. Lefebvre, une affaire dans laquelle un policier refuse dâappeler lâavocat choisi par lâaccusĂ© parce quâil nâest pas criminaliste, le juge Cournoyer de la Cour supĂ©rieure indique : « Les droits se rattachant Ă la dĂ©tention, et notamment celui de consulter lâavocat de son choix, âentrent en jeu du fait que la personne qui a Ă©tĂ© placĂ©e sous le contrĂŽle des autoritĂ©s de lâĂtat se trouve en position de vulnĂ©rabilitĂ©â (âŠ) ».
Le fait que la requĂ©rante ait consultĂ© lâaide juridique avant de se soumettre au prĂ©lĂšvement dâĂ©chantillons dâhaleine nâa pas pour effet de mitiger lâatteinte Ă lâalinĂ©a 10b) de la Charte. En effet, Ă lâissue de sa consultation avec lâaide juridique, la requĂ©rante exprime son incomprĂ©hension et son insatisfaction. Notons que la requĂ©rante sâest montrĂ©e Ă©motive et que mĂȘme aprĂšs sa consultation avec lâaide juridique, son Ă©tat nâa pas changĂ©.
La poursuite a plaidĂ© des affaires semblables dans le cadre desquelles la preuve avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e admissible malgrĂ© lâexistence dâune violation du droit Ă lâavocat de son choix. Dans plusieurs dâentre elles, toutefois, lâaccusĂ© nâavait pas tĂ©moignĂ© sur voir-dire. En outre, les accusĂ©s sâĂ©taient gĂ©nĂ©ralement dĂ©clarĂ©s satisfaits de leur consultation juridique. Ainsi, dans lâaffaire Porchetta, citĂ©e par la poursuite, la requĂ©rante avait consultĂ© un autre avocat et sâen disait satisfaite. Il en va de mĂȘme dans lâaffaire Doucet-Turbide. Dans lâaffaire Bourdon, Ă©galement citĂ©e par la poursuite, le requĂ©rant avait signĂ© un formulaire attestant que, suite Ă sa consultation avec lâaide juridique, il avait bien compris et exercĂ© ses droits. Par consĂ©quent, ces affaires se distinguent du cas Ă lâĂ©tude.
Lâanalyse du second critĂšre milite en faveur de lâexclusion.
- c) LâintĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© Ă ce que lâaffaire soit jugĂ©e au fond
Lâapplication du troisiĂšme critĂšre implique un exercice dĂ©licat oĂč le Tribunal doit soupeser les consĂ©quences de lâexclusion de la preuve, tant sur la considĂ©ration dont jouit lâadministration de la justice que sur la recherche de la vĂ©ritĂ©.
Le rĂ©sultat de lâalcootest est une preuve fiable, pertinente et essentielle Ă la preuve Ă charge. LâintĂ©rĂȘt sociĂ©tal Ă ce que lâaffaire soit jugĂ©e au fond coule de source. Toutefois, le Tribunal estime que la sociĂ©tĂ© nâa pas intĂ©rĂȘt Ă ce que les policiers se conduisent comme ils lâont fait en lâespĂšce.
La mise en balance des facteurs en présence
Dans lâarrĂȘt Morelli, la Cour suprĂȘme a dĂ©terminĂ© quâĂ ce stade de lâanalyse, il faut tenir compte des rĂ©percussions Ă long terme sur la considĂ©ration dont jouit lâadministration de la justice. Ainsi, nous devons porter notre regard sur lâincidence future que risque dâavoir lâadmission de la preuve obtenue en violation des droits constitutionnels.
Les atteintes au droit Ă lâavocat se soldent gĂ©nĂ©ralement par lâexclusion de la preuve. Il importe que les agents de lâĂtat comprennent bien la nĂ©cessitĂ© de respecter lâensemble des valeurs protĂ©gĂ©es par lâalinĂ©a 10b) de la Charte.
La sociĂ©tĂ© ne peut pas tolĂ©rer que les forces policiĂšres contournent leurs obligations constitutionnelles dans le but de faciliter ou dâaccĂ©lĂ©rer leurs enquĂȘtes lorsque, comme en lâespĂšce, il nây a aucune urgence.
Ăvidemment, la tĂąche des policiers serait beaucoup plus simple si, entre 18 heures et 8 heures du matin, ils nâavaient quâĂ composer un seul numĂ©ro, celui de lâaide juridique. Le Tribunal estime toutefois que le libre-choix de lâavocat serait vidĂ© de son sens si les personnes dĂ©tenues Ă lâextĂ©rieur des heures habituelles dâouverture des cabinets dâavocat pouvaient consulter uniquement lâaide juridique.
Seule lâexclusion de la preuve permet de se dissocier adĂ©quatement de la conduite des policiers et de prĂ©server Ă long terme la considĂ©ration dont jouit lâadministration de la justice. AprĂšs avoir pondĂ©rĂ© les trois critĂšres, le Tribunal conclut que lâutilisation de la preuve serait susceptible de dĂ©considĂ©rer lâadministration de la justice. Lâexclusion est le seul remĂšde efficace pour affirmer lâimportance du droit Ă lâavocat de son choix. »
CONCLUSION
Suite Ă son analyse, concluant Ă la violation du droit Ă lâavocat en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, la Juge ordonne lâexclusion des rĂ©sultats des prĂ©lĂšvements dâĂ©chantillon dâhaleine effectuĂ©s Ă lâaide de lâivressomĂštre, ce qui fait en sorte que lâaccusĂ©e est acquittĂ©e dâavoir conduit un vĂ©hicule moteur alors que son alcoolĂ©mie dĂ©passait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang.
RĂ©fĂ©rence : La Reine c. Lorrain â cause # 550-01-107317-184
Jugement du 20 avril 2020 de lâHonorable Alexandra Marcil, J.C.Q. de la Cour du QuĂ©bec « Chambre criminelle et pĂ©nale » du district de Gatineau.
Me Micheline Paradis, Avocate
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