Acquittement Alcool au Volant – Jugement du 20 avril 2020

acquittement pour alcool au volant - jugement du 20 avril 2020

L’accusĂ©e subit son procĂšs pour conduite d’un vĂ©hicule Ă  moteur alors que sa capacitĂ© de conduire Ă©tait affaiblie par l’alcool et que son alcoolĂ©mie dĂ©passait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, contrairement aux alinĂ©as 253(1)a) et b) du Code criminel.

L’avocat de la dĂ©fense dĂ©pose une requĂȘte en vertu de l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s plaidant la violation des droits garantis Ă  l’accusĂ©e Ă  l’effet que les policiers n’ont pas donnĂ© Ă  l’accusĂ©e l’opportunitĂ© raisonnable de consulter l’avocat de son choix et demande par consĂ©quent l’exclusion de la preuve, en vertu de l’article 24(2) de la Charte , soit les rĂ©sultats des prĂ©lĂšvements d’échantillon d’haleine effectuĂ©s Ă  l’aide de l’ivressomĂštre.

LES FAITS

Le 28 avril 2018 Ă  Gatineau, les policiers interceptent le vĂ©hicule de l’accusĂ©e Ă  1 h 49.

AprĂšs certaines observations, l’on ordonne Ă  l’accusĂ©e de se soumettre Ă  un test de dĂ©pistage d’alcool Ă  l’aide d’un appareil de dĂ©tection approuvĂ©. Madame Ă©choue le test Ă  2 h 01. Les policiers procĂšdent alors Ă  son arrestation pour conduite avec les facultĂ©s affaiblies. On lui donne son droit au silence et son droit Ă  l’avocat, et on lui ordonne de venir au poste pour se soumettre au prĂ©lĂšvement des Ă©chantillons d’haleine Ă  l’aide d’un ivressomĂštre requis par la loi.

En chemin vers le poste de police, l’accusĂ©e mentionne aux policiers qu’elle a un avocat et que son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone est dans son cellulaire.

Une fois rendu au poste, l’accusĂ©e est trĂšs Ă©motive. Suite Ă  la procĂ©dure d’écrou, les policiers lui offrent de consulter un avocat et lui prĂ©sente la liste des avocats de la rĂ©gion.

L’accusĂ©e demande Ă  consulter un avocat qu’elle connaĂźt. Les policiers remettent alors le cellulaire Ă  l’accusĂ©e afin qu’elle trouve le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de ce dernier.

Le policier tente de joindre l’avocat de l’accusĂ©e au numĂ©ro fourni par celle-ci mais il n’y a pas de rĂ©ponse. L’accusĂ©e demande alors Ă  ce qu’un message tĂ©lĂ©phonique soit laissĂ© sur la boĂźte vocale de celui-ci. Ce message est laissĂ© Ă  2 h 34.

Dans les secondes qui suivent, le policier parle Ă  l’accusĂ©e. Le contenu de leur conversation sera abordĂ© plus loin dans le prĂ©sent article. L’accusĂ©e consulte, suite Ă  sa conversation avec le policier, Ă  nouveau la liste des avocats de la rĂ©gion. À 2 h 35, donc environ 1 minute aprĂšs avoir laissĂ© un message Ă  l’avocat de l’accusĂ©e, le policier compose le numĂ©ro de l’aide juridique. L’accusĂ©e consulte alors un avocat de l’aide juridique pendant 3 minutes.

Il est important ici de noter qu’aucune autre dĂ©marche ne sera effectuĂ©e en vue de permettre Ă  l’accusĂ©e de consulter son avocat personnel.

Suite Ă  la conversation avec l’avocat de l’aide juridique, l’accusĂ©e est amenĂ©e au local d’alcootest Ă  2 h 41.

LE DROIT APPLICABLE

L’alinĂ©a 10b) de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, stipule que toute personne dĂ©tenue a le droit de recourir Ă  l’assistance d’un avocat. Cette disposition impose plusieurs obligations aux policiers afin de permettre l’exercice de ce droit par une personne dĂ©tenue.

En premier lieu, les policiers doivent informer clairement et adĂ©quatement la personne dĂ©tenue sur ses droits ainsi que sur la maniĂšre d’exercer ceux-ci. Il s’agit du volet informationnel.

Par la suite, « les policiers ont l’obligation, sauf en cas d’urgence ou de danger, d’offrir Ă  la personne dĂ©tenue la possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle d’exercer son droit Ă  l’avocat. Ainsi, ils doivent lui permettre de communiquer avec l’avocat de son choix ».

Finalement, « sauf en cas d’urgence ou de danger, les policiers doivent s’abstenir de tenter de soutirer Ă  la personne dĂ©tenue des Ă©lĂ©ments de preuve, et ce, jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle d’exercer son droit ».

« La personne dĂ©tenue a le droit de choisir son avocat. Bien que l’alinĂ©a 10b) de la Charte ne prĂ©cise pas explicitement le droit Ă  l’avocat de son choix, la Cour suprĂȘme a dĂ©terminĂ© qu’il s’agit d’une composante du droit Ă  l’avocat »

Le juge en chef Lamer de la Cour suprĂȘme du Canada Ă©nonce, dans l’arrĂȘt la Reine contre Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, que:

« (
) l’accusĂ© ou le dĂ©tenu a le droit de choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut ĂȘtre disponible dans un dĂ©lai raisonnable qu’on doit s’attendre Ă  ce que le dĂ©tenu ou l’accusĂ© exerce son droit Ă  l’assistance d’un avocat en appelant un autre avocat. »

Ainsi, « les policiers doivent non seulement offrir Ă  la personne dĂ©tenue une opportunitĂ© raisonnable de consulter l’avocat de son choix, mais Ă©galement prendre des mesures pour faciliter l’exercice de ce droit ».

Pour ce faire, les policiers doivent accorder un dĂ©lai raisonnable Ă  la personne dĂ©tenue pour joindre l’avocat de son choix. « Cela peut donc impliquer qu’on laisse un message Ă  celui-ci afin de lui donner la possibilitĂ© de rappeler. Si l’avocat choisi n’est pas disponible dans un dĂ©lai raisonnable, les personnes dĂ©tenues sont censĂ©es exercer leur droit Ă  l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat. Sans quoi, l’obligation qui incombe Ă  la police d’interrompre ses questions est suspendue ».


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QUESTIONS EN LITIGE

Dans le prĂ©sent dossier, il s’agit de dĂ©terminer si le droit de l’accusĂ©e Ă  l’assistance d’un avocat a Ă©tĂ© enfreint et, si oui, l’exclusion de la preuve est-elle le remĂšde appropriĂ© ?

Dans la prĂ©sente cause, il n’y avait aucune urgence Ă  procĂ©der rapidement avec les tests d’ivressomĂštre et par consĂ©quent, les policiers pouvaient attendre le retour d’appel de l’avocat de l’accusĂ©e pendant un certain dĂ©lai au lieu de la faire discuter immĂ©diatement avec un avocat de l’aide juridique. DĂšs qu’un message vocal est laissĂ© Ă  l’avocat de l’accusĂ©e, cette derniĂšre est invitĂ©e par les policiers Ă  choisir un autre avocat.

L’arrĂȘt de la Cour suprĂȘme du Canada, la Reine contre Prosper, [1994] 3 R. C. S. 236, « rappelle qu’en matiĂšre d’affaires de conduite avec les facultĂ©s affaiblies, l’existence d’une prĂ©somption en matiĂšre de preuve Ă  l’égard des Ă©chantillons pris dans les deux heures que peut invoquer le ministĂšre public en vertu de l’article 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente ».

InterrogĂ© Ă  savoir s’il fallait attendre le retour d’appel de l’avocat de l’accusĂ©e, le policier indique Ă  la Cour que l’avocat en question n’est pas un criminaliste mais bel et bien un avocat en droit de la famille et qu’il est 2 heures du matin lorsqu’un message est laissĂ© sur sa boĂźte vocale. Cette rĂ©ponse du policier laisse entendre un « certain scepticisme » quant Ă  l’utilitĂ© de consulter l’avocat de l’accusĂ©e.

L’accusĂ©e a pleinement confiance en son avocat personnel. « Le droit canadien reconnaĂźt l’importance de la relation de confiance entre une personne dĂ©tenue et son avocat. Elle a le droit de consulter un avocat en qui elle a confiance, et non uniquement le droit de consulter n’importe quel avocat, et ce, pourvu qu’elle fasse preuve de diligence raisonnable ».

« La poursuite plaide qu’aprĂšs avoir laissĂ© le message tĂ©lĂ©phonique Ă  l’avocat choisi par la personne dĂ©tenue, les policiers n’ont pas en tant que telle une obligation d’attendre avant de suggĂ©rer de consulter l’aide juridique. Elle se fonde sur l’arrĂȘt la Reine contre Willier, dans le cadre duquel, selon la Cour suprĂȘme, si la personne dĂ©tenue n’arrive pas Ă  contacter l’avocat de son choix, le seul fait pour la police d’indiquer au dĂ©tenu qu’un avocat de garde est disponible n’enfreint pas le droit Ă  l’avocat. Le caractĂšre bref du dĂ©lai entre le message tĂ©lĂ©phonique laissĂ© Ă  l’avocat choisi et la poursuite de l’enquĂȘte n’est pas forcĂ©ment dĂ©terminant, comme l’indique la Cour suprĂȘme dans cette affaire ».

« Sommes-nous devant un cas oĂč la police a proposĂ© Ă  la requĂ©rante de consulter l’avocat de garde, sans coercition, et oĂč la requĂ©rante a acceptĂ© librement de consulter l’aide juridique? »

Le policier tĂ©moigne qu’aprĂšs avoir laissĂ© un message Ă  l’avocat de l’accusĂ©e, il lui demande si elle dĂ©sirait communiquer avec un autre avocat. Il lui indique qu’elle pouvait attendre un retour d’appel mais, vu l’heure tardive, il y avait peu de chances que l’avocat retourne l’appel. Selon le policier, « c’est l’accusĂ©e qui lui demande alors de consulter l’aide juridique ».

La Cour ne croit pas son tĂ©moignage. Il « n’a pas pris de note concernant ses Ă©changes avec elle. Il convient qu’il ne se rappelle pas des mots utilisĂ©s par la requĂ©rante. Son rĂ©cit est contredit par celui de la requĂ©rante. Au surplus, la vidĂ©o dĂ©posĂ©e en preuve rĂ©vĂšle que le sergent n’a jamais parlĂ© en s’adressant directement Ă  la requĂ©rante. Le visionnement de cette vidĂ©o laisse croire qu’il n’y a eu entre eux aucun Ă©change verbal. Le Tribunal constate que le sergent ne peut donc pas lui avoir dit qu’elle pouvait attendre un retour d’appel et qu’elle ne lui a donc pas demandĂ© de consulter l’aide juridique ». Le tĂ©moignage du sergent Ă  ce sujet est Ă©cartĂ©.

L’accusĂ©e « tĂ©moigne qu’elle ne s’est pas vu offrir l’opportunitĂ© d’attendre un retour d’appel de son avocat. Elle dit qu’elle aurait aimĂ© attendre son retour d’appel. Elle convient qu’elle ne l’a pas demandĂ© expressĂ©ment, mais affirme que les policiers ne lui disent jamais que c’est possible.

Certes, la requĂ©rante ne revendique pas son droit avec beaucoup de vĂ©hĂ©mence, mais il n’y a pas lieu de conclure qu’elle l’exerce avec nĂ©gligence. Elle collabore tout simplement avec les forces de l’ordre ».

La version de l’accusĂ©e est Ă  l’effet que le policier « se montre insistant pour qu’elle consulte un avocat disponible 24 heures sur 24 qui va donc rĂ©pondre immĂ©diatement. Il s’adresse Ă  elle gentiment, mais se montre insistant pour qu’elle consulte immĂ©diatement. Il dit qu’elle doit absolument parler Ă  un avocat en vue de la suite des choses. Il lui suggĂšre fortement de parler Ă  un avocat qui est disponible immĂ©diatement. Pour l’agent, dit-elle, ça semble important qu’elle ait sa consultation juridique tout de suite ». L’accusĂ©e « tĂ©moigne qu’elle croit n’avoir aucun autre choix que de consulter l’aide juridique ».

Si un dĂ©lai raisonnable avait Ă©tĂ© accordĂ© Ă  l’accusĂ©e aprĂšs avoir laissĂ© un message sur la boĂźte vocale de son avocat et voyant qu’elle n’avait pas de retour d’appel, elle aurait alors pu choisir librement de communiquer avec un autre avocat. « Les policiers l’ont privĂ© de cette possibilité ».

« Le Tribunal constate que la requĂ©rante ne choisit pas librement de consulter l’aide juridique. Elle obtempĂšre tout simplement Ă  ce que l’agent lui dit de faire. La collaboration d’un citoyen avec les forces de l’ordre ne doit pas ĂȘtre confondue avec la renonciation Ă  exercer un droit. Cela n’a pas pour effet d’enlever aux policiers leur obligation d’offrir Ă  la personne dĂ©tenue une possibilitĂ© raisonnable de consulter l’avocat de son choix.

Une personne dĂ©tenue peut renoncer au droit garanti par l’alinĂ©a 10b). Toutefois, selon la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Willier, la dĂ©cision de renoncer au droit Ă  l’assistance d’un avocat doit ĂȘtre prise en toute connaissance de cause. Dans l’arrĂȘt Prosper, le juge Lamer explique ainsi les paramĂštres applicables Ă  une renonciation valide de l’exercice du droit Ă  l’avocat :

« (
) les tribunaux doivent s’assurer qu’on n’a pas conclu trop facilement Ă  la renonciation au droit Ă  l’assistance d’un avocat garanti par la Charte. En fait, j’estime qu’il y aura naissance d’une obligation d’information supplĂ©mentaire de la part de la police dĂšs que la personne dĂ©tenue, qui a dĂ©jĂ  manifestĂ© son intention de se prĂ©valoir de son droit Ă  l’assistance d’un avocat indique qu’elle a changĂ© d’avis (
)

Compte tenu de l’importance du droit Ă  l’assistance d’un avocat, j’ajouterais Ă  l’égard de la renonciation que, dĂšs lors qu’une personne dĂ©tenue a fait valoir son droit, il faut qu’elle donne par la suite une indication claire qu’elle a changĂ© d’avis, et il appartiendra au ministĂšre public d’établir qu’elle y a clairement renoncĂ© (
) »

Dans les circonstances Ă  l’étude, la requĂ©rante collabore avec les forces de l’ordre. Elle ne renonce pas Ă  exercer son droit Ă  l’avocat au sens de l’arrĂȘt Prosper, ni ne renonce Ă  consulter » son avocat personnel.

« Enfin, le Tribunal note que, dans l’affaire Willier, l’accusĂ© se disait satisfait de sa consultation juridique avec l’avocat de garde. De mĂȘme, dans l’affaire McCrimmon, l’accusĂ© Ă©tait satisfait et prĂ©cisait avoir compris les conseils de l’avocat de garde. Or, de toute Ă©vidence, ce n’est pas le cas en l’espĂšce.

La requĂ©rante tĂ©moigne que, lors de sa consultation avec l’avocat de l’aide juridique, elle ne comprend rien et ne fait que pleurer. À l’issue de sa consultation juridique, l’agent Mercier lui demande si ça s’est bien passĂ© et si elle est satisfaite. Elle lui rĂ©pond que la consultation a Ă©tĂ© trop rapide et qu’elle n’a rien compris. Notons que la version de la requĂ©rante Ă  cet Ă©gard n’est pas contredite. L’agent Mercier pense effectivement lui avoir posĂ© la question. Toutefois, il ne sait plus ce qu’elle a rĂ©pondu. Il n’a pas notĂ© sa rĂ©ponse. L’agent convient d’ailleurs que mĂȘme aprĂšs avoir consultĂ© l’avocat de l’aide juridique, la requĂ©rante montre toujours les mĂȘmes signes d’émotivitĂ©. » Le policier indique Ă©galement Ă  la Cour qu’il n’a pas proposĂ© Ă  l’accusĂ© de tenter de rejoindre Ă  nouveau son avocat personnel ou mĂȘme de consulter un autre avocat de son choix.

« En somme, les policiers ont enfreint le droit de la requĂ©rante Ă  l’assistance de l’avocat de son choix. On lui offre la liste des avocats, sachant qu’elle en a dĂ©jĂ  un et que ses coordonnĂ©es sont dans son cellulaire. Elle souhaite consulter son avocat et fournit le numĂ©ro pour le joindre. Ainsi, elle se montre diligente. DĂšs qu’un message est laissĂ© Ă  l’avocat choisi, la requĂ©rante est amenĂ©e Ă  choisir immĂ©diatement un autre avocat. On ne lui indique pas qu’elle peut attendre un retour d’appel. L’agent se montre insistant pour qu’elle consulte un avocat immĂ©diatement, sans attendre de retour d’appel. Or, il n’y a aucune urgence. La requĂ©rante est dans un Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©. C’est Ă  l’insistance du policier qu’elle accepte de consulter l’aide juridique. Elle croit n’avoir aucun autre choix. Sa conduite n’équivaut pas Ă  une renonciation. Enfin, elle exprime son insatisfaction concernant sa consultation avec l’avocat de l’aide juridique. Elle semble aussi Ă©motive avant qu’aprĂšs sa consultation juridique. La rĂ©action du policier est alors de se substituer Ă  un avocat en lui donnant des explications lui-mĂȘme. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut qu’il y a violation de l’alinĂ©a 10b) de la Charte. »

Il reste maintenant Ă  dĂ©terminer si l’exclusion de la preuve est le remĂšde appropriĂ© dans la prĂ©sente cause.

« Les Ă©lĂ©ments de preuve saisis par les policiers ont Ă©tĂ© obtenus dans des circonstances qui portent atteinte Ă  la Charte. Le Tribunal doit donc dĂ©terminer si leur utilisation est susceptible de dĂ©considĂ©rer l’administration de la justice.

L’analyse sera faite Ă  la lumiĂšre de la dĂ©marche Ă©laborĂ©e par la Cour suprĂȘme dans l’arrĂȘt Grant :

« [71] (
) Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondĂ©e sur le par. 24(2) doit Ă©valuer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des Ă©lĂ©ments de preuve aurait sur la confiance de la sociĂ©tĂ© envers le systĂšme de justice en tenant compte de : (1) la gravitĂ© de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner Ă  penser que le systĂšme de justice tolĂšre l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusĂ© garantis par la Charte (l’utilisation peut donner Ă  penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© Ă  ce que l’affaire soit jugĂ©e au fond. Le rĂŽle du tribunal appelĂ© Ă  trancher une demande fondĂ©e sur le par. 24(2) consiste Ă  procĂ©der Ă  une mise en balance de chacune de ces questions pour dĂ©terminer si, eu Ă©gard aux circonstances, l’utilisation d’élĂ©ments de preuve serait susceptible de dĂ©considĂ©rer l’administration de la justice. Bien qu’elles ne recoupent pas exactement les catĂ©gories Ă©laborĂ©es dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondĂ©e sur le par. 24(2), tels qu’ils ont Ă©tĂ© formulĂ©s dans Collins et dans la jurisprudence subsĂ©quente. ».

  1. a) La gravitĂ© de la conduite attentatoire de l’État

Le droit Ă  l’avocat de son choix est un droit fondamental qui doit ĂȘtre jalousement protĂ©gĂ©.

En l’espĂšce, l’atteinte Ă  l’alinĂ©a 10b) de la Charte n’est pas technique ou mineure. Elle prend ici diffĂ©rentes formes.

La prĂ©cipitation avec laquelle les policiers procĂšdent au prĂ©lĂšvement des Ă©chantillons d’haleine n’est pas acceptable. Aucun dĂ©lai raisonnable n’est accordĂ© pour permettre un retour d’appel de son avocat. DĂšs qu’un message est laissĂ© Ă  l’avocat, la l’accusĂ©e est amenĂ©e Ă  choisir immĂ©diatement un autre avocat, sans qu’on lui indique qu’elle peut attendre un retour d’appel. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette dĂ©marche.

Les policiers contraignent la requĂ©rante Ă  consulter l’aide juridique, ce qui n’est pas acceptable dans le cas de l’espĂšce oĂč il n’y a pas d’urgence et oĂč la requĂ©rante est dans un Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette dĂ©marche. Que l’avocat choisi par la requĂ©rante soit perçu par les policiers comme Ă©tant compĂ©tent ou non en matiĂšre criminelle ne change rien Ă  leurs obligations constitutionnelles. La relation de confiance entre une personne dĂ©tenue et son avocat est personnelle. Il n’appartient pas aux policiers de s’ingĂ©rer dans l’exercice de ce choix.

La rĂ©action du policier, face Ă  l’insatisfaction de la requĂ©rante suite Ă  sa consultation avec l’aide juridique, est de se substituer Ă  un avocat en donnant des explications lui-mĂȘme. Le Tribunal souhaite Ă©galement se dissocier de cette dĂ©marche.

Dans l’arrĂȘt Harrison, la Cour suprĂȘme rappelle que si la dĂ©rogation est flagrante ou si les policiers devaient savoir que leur conduite ne respectait pas la Charte, le Tribunal devrait se dissocier de leur dĂ©marche. C’est exactement le cas en l’espĂšce.

Le Tribunal ne peut pas considĂ©rer les deux policiers comme Ă©tant de bonne foi. Le droit de consulter l’avocat de son choix ne reprĂ©sente pas une question complexe et controversĂ©e. L’état du droit est clair sur l’obligation d’accorder une possibilitĂ© raisonnable et rĂ©elle d’avoir recours Ă  l’avocat de son choix. »

« L’analyse de ce premier critĂšre milite fortement en faveur de l’exclusion de la preuve.

  1. b) L’incidence de la violation sur les droits du requĂ©rant

Le Tribunal considĂšre que la violation de l’alinĂ©a 10b) est grave et qu’elle a des impacts importants.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la dimension psychologique entourant la restriction du droit Ă  l’avocat. Dans R. c. Lefebvre, une affaire dans laquelle un policier refuse d’appeler l’avocat choisi par l’accusĂ© parce qu’il n’est pas criminaliste, le juge Cournoyer de la Cour supĂ©rieure indique : « Les droits se rattachant Ă  la dĂ©tention, et notamment celui de consulter l’avocat de son choix, “entrent en jeu du fait que la personne qui a Ă©tĂ© placĂ©e sous le contrĂŽle des autoritĂ©s de l’État se trouve en position de vulnĂ©rabilitĂ©â€ (
) ».

Le fait que la requĂ©rante ait consultĂ© l’aide juridique avant de se soumettre au prĂ©lĂšvement d’échantillons d’haleine n’a pas pour effet de mitiger l’atteinte Ă  l’alinĂ©a 10b) de la Charte. En effet, Ă  l’issue de sa consultation avec l’aide juridique, la requĂ©rante exprime son incomprĂ©hension et son insatisfaction. Notons que la requĂ©rante s’est montrĂ©e Ă©motive et que mĂȘme aprĂšs sa consultation avec l’aide juridique, son Ă©tat n’a pas changĂ©.

La poursuite a plaidĂ© des affaires semblables dans le cadre desquelles la preuve avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e admissible malgrĂ© l’existence d’une violation du droit Ă  l’avocat de son choix. Dans plusieurs d’entre elles, toutefois, l’accusĂ© n’avait pas tĂ©moignĂ© sur voir-dire. En outre, les accusĂ©s s’étaient gĂ©nĂ©ralement dĂ©clarĂ©s satisfaits de leur consultation juridique. Ainsi, dans l’affaire Porchetta, citĂ©e par la poursuite, la requĂ©rante avait consultĂ© un autre avocat et s’en disait satisfaite. Il en va de mĂȘme dans l’affaire Doucet-Turbide. Dans l’affaire Bourdon, Ă©galement citĂ©e par la poursuite, le requĂ©rant avait signĂ© un formulaire attestant que, suite Ă  sa consultation avec l’aide juridique, il avait bien compris et exercĂ© ses droits. Par consĂ©quent, ces affaires se distinguent du cas Ă  l’étude.

L’analyse du second critùre milite en faveur de l’exclusion.

  1. c) L’intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© Ă  ce que l’affaire soit jugĂ©e au fond

L’application du troisiĂšme critĂšre implique un exercice dĂ©licat oĂč le Tribunal doit soupeser les consĂ©quences de l’exclusion de la preuve, tant sur la considĂ©ration dont jouit l’administration de la justice que sur la recherche de la vĂ©ritĂ©.

Le rĂ©sultat de l’alcootest est une preuve fiable, pertinente et essentielle Ă  la preuve Ă  charge. L’intĂ©rĂȘt sociĂ©tal Ă  ce que l’affaire soit jugĂ©e au fond coule de source. Toutefois, le Tribunal estime que la sociĂ©tĂ© n’a pas intĂ©rĂȘt Ă  ce que les policiers se conduisent comme ils l’ont fait en l’espĂšce.

La mise en balance des facteurs en présence

Dans l’arrĂȘt Morelli, la Cour suprĂȘme a dĂ©terminĂ© qu’à ce stade de l’analyse, il faut tenir compte des rĂ©percussions Ă  long terme sur la considĂ©ration dont jouit l’administration de la justice. Ainsi, nous devons porter notre regard sur l’incidence future que risque d’avoir l’admission de la preuve obtenue en violation des droits constitutionnels.

Les atteintes au droit Ă  l’avocat se soldent gĂ©nĂ©ralement par l’exclusion de la preuve. Il importe que les agents de l’État comprennent bien la nĂ©cessitĂ© de respecter l’ensemble des valeurs protĂ©gĂ©es par l’alinĂ©a 10b) de la Charte.

La sociĂ©tĂ© ne peut pas tolĂ©rer que les forces policiĂšres contournent leurs obligations constitutionnelles dans le but de faciliter ou d’accĂ©lĂ©rer leurs enquĂȘtes lorsque, comme en l’espĂšce, il n’y a aucune urgence.

Évidemment, la tĂąche des policiers serait beaucoup plus simple si, entre 18 heures et 8 heures du matin, ils n’avaient qu’à composer un seul numĂ©ro, celui de l’aide juridique. Le Tribunal estime toutefois que le libre-choix de l’avocat serait vidĂ© de son sens si les personnes dĂ©tenues Ă  l’extĂ©rieur des heures habituelles d’ouverture des cabinets d’avocat pouvaient consulter uniquement l’aide juridique.

Seule l’exclusion de la preuve permet de se dissocier adĂ©quatement de la conduite des policiers et de prĂ©server Ă  long terme la considĂ©ration dont jouit l’administration de la justice. AprĂšs avoir pondĂ©rĂ© les trois critĂšres, le Tribunal conclut que l’utilisation de la preuve serait susceptible de dĂ©considĂ©rer l’administration de la justice. L’exclusion est le seul remĂšde efficace pour affirmer l’importance du droit Ă  l’avocat de son choix. »

CONCLUSION

Suite Ă  son analyse, concluant Ă  la violation du droit Ă  l’avocat en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, la Juge ordonne l’exclusion des rĂ©sultats des prĂ©lĂšvements d’échantillon d’haleine effectuĂ©s Ă  l’aide de l’ivressomĂštre, ce qui fait en sorte que l’accusĂ©e est acquittĂ©e d’avoir conduit un vĂ©hicule moteur alors que son alcoolĂ©mie dĂ©passait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang.

RĂ©fĂ©rence : La Reine c. Lorrain – cause # 550-01-107317-184
Jugement du 20 avril 2020 de l’Honorable Alexandra Marcil, J.C.Q. de la Cour du QuĂ©bec « Chambre criminelle et pĂ©nale » du district de Gatineau.

Me Micheline Paradis, Avocate
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