Acquittement Alcool au Volant – Jugement du 20 avril 2020

acquittement pour alcool au volant - jugement du 20 avril 2020

L’accusée subit son procès pour conduite d’un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’alcool et que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, contrairement aux alinéas 253(1)a) et b) du Code criminel.

L’avocat de la défense dépose une requête en vertu de l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés plaidant la violation des droits garantis à l’accusée à l’effet que les policiers n’ont pas donné à l’accusée l’opportunité raisonnable de consulter l’avocat de son choix et demande par conséquent l’exclusion de la preuve, en vertu de l’article 24(2) de la Charte , soit les résultats des prélèvements d’échantillon d’haleine effectués à l’aide de l’ivressomètre.

LES FAITS

Le 28 avril 2018 à Gatineau, les policiers interceptent le véhicule de l’accusée à 1 h 49.

Après certaines observations, l’on ordonne à l’accusée de se soumettre à un test de dépistage d’alcool à l’aide d’un appareil de détection approuvé. Madame échoue le test à 2 h 01. Les policiers procèdent alors à son arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies. On lui donne son droit au silence et son droit à l’avocat, et on lui ordonne de venir au poste pour se soumettre au prélèvement des échantillons d’haleine à l’aide d’un ivressomètre requis par la loi.

En chemin vers le poste de police, l’accusée mentionne aux policiers qu’elle a un avocat et que son numéro de téléphone est dans son cellulaire.

Une fois rendu au poste, l’accusée est très émotive. Suite à la procédure d’écrou, les policiers lui offrent de consulter un avocat et lui présente la liste des avocats de la région.

L’accusée demande à consulter un avocat qu’elle connaît. Les policiers remettent alors le cellulaire à l’accusée afin qu’elle trouve le numéro de téléphone de ce dernier.

Le policier tente de joindre l’avocat de l’accusée au numéro fourni par celle-ci mais il n’y a pas de réponse. L’accusée demande alors à ce qu’un message téléphonique soit laissé sur la boîte vocale de celui-ci. Ce message est laissé à 2 h 34.

Dans les secondes qui suivent, le policier parle à l’accusée. Le contenu de leur conversation sera abordé plus loin dans le présent article. L’accusée consulte, suite à sa conversation avec le policier, à nouveau la liste des avocats de la région. À 2 h 35, donc environ 1 minute après avoir laissé un message à l’avocat de l’accusée, le policier compose le numéro de l’aide juridique. L’accusée consulte alors un avocat de l’aide juridique pendant 3 minutes.

Il est important ici de noter qu’aucune autre démarche ne sera effectuée en vue de permettre à l’accusée de consulter son avocat personnel.

Suite à la conversation avec l’avocat de l’aide juridique, l’accusée est amenée au local d’alcootest à 2 h 41.

LE DROIT APPLICABLE

L’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, stipule que toute personne détenue a le droit de recourir à l’assistance d’un avocat. Cette disposition impose plusieurs obligations aux policiers afin de permettre l’exercice de ce droit par une personne détenue.

En premier lieu, les policiers doivent informer clairement et adéquatement la personne détenue sur ses droits ainsi que sur la manière d’exercer ceux-ci. Il s’agit du volet informationnel.

Par la suite, « les policiers ont l’obligation, sauf en cas d’urgence ou de danger, d’offrir à la personne détenue la possibilité raisonnable et réelle d’exercer son droit à l’avocat. Ainsi, ils doivent lui permettre de communiquer avec l’avocat de son choix ».

Finalement, « sauf en cas d’urgence ou de danger, les policiers doivent s’abstenir de tenter de soutirer à la personne détenue des éléments de preuve, et ce, jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable et réelle d’exercer son droit ».

« La personne détenue a le droit de choisir son avocat. Bien que l’alinéa 10b) de la Charte ne précise pas explicitement le droit à l’avocat de son choix, la Cour suprême a déterminé qu’il s’agit d’une composante du droit à l’avocat »

Le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada énonce, dans l’arrêt la Reine contre Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, que:

« (…) l’accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu’on doit s’attendre à ce que le détenu ou l’accusé exerce son droit à l’assistance d’un avocat en appelant un autre avocat. »

Ainsi, « les policiers doivent non seulement offrir à la personne détenue une opportunité raisonnable de consulter l’avocat de son choix, mais également prendre des mesures pour faciliter l’exercice de ce droit ».

Pour ce faire, les policiers doivent accorder un délai raisonnable à la personne détenue pour joindre l’avocat de son choix. « Cela peut donc impliquer qu’on laisse un message à celui-ci afin de lui donner la possibilité de rappeler. Si l’avocat choisi n’est pas disponible dans un délai raisonnable, les personnes détenues sont censées exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat. Sans quoi, l’obligation qui incombe à la police d’interrompre ses questions est suspendue ».


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QUESTIONS EN LITIGE

Dans le présent dossier, il s’agit de déterminer si le droit de l’accusée à l’assistance d’un avocat a été enfreint et, si oui, l’exclusion de la preuve est-elle le remède approprié ?

Dans la présente cause, il n’y avait aucune urgence à procéder rapidement avec les tests d’ivressomètre et par conséquent, les policiers pouvaient attendre le retour d’appel de l’avocat de l’accusée pendant un certain délai au lieu de la faire discuter immédiatement avec un avocat de l’aide juridique. Dès qu’un message vocal est laissé à l’avocat de l’accusée, cette dernière est invitée par les policiers à choisir un autre avocat.

L’arrêt de la Cour suprême du Canada, la Reine contre Prosper, [1994] 3 R. C. S. 236, « rappelle qu’en matière d’affaires de conduite avec les facultés affaiblies, l’existence d’une présomption en matière de preuve à l’égard des échantillons pris dans les deux heures que peut invoquer le ministère public en vertu de l’article 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente ».

Interrogé à savoir s’il fallait attendre le retour d’appel de l’avocat de l’accusée, le policier indique à la Cour que l’avocat en question n’est pas un criminaliste mais bel et bien un avocat en droit de la famille et qu’il est 2 heures du matin lorsqu’un message est laissé sur sa boîte vocale. Cette réponse du policier laisse entendre un « certain scepticisme » quant à l’utilité de consulter l’avocat de l’accusée.

L’accusée a pleinement confiance en son avocat personnel. « Le droit canadien reconnaît l’importance de la relation de confiance entre une personne détenue et son avocat. Elle a le droit de consulter un avocat en qui elle a confiance, et non uniquement le droit de consulter n’importe quel avocat, et ce, pourvu qu’elle fasse preuve de diligence raisonnable ».

« La poursuite plaide qu’après avoir laissé le message téléphonique à l’avocat choisi par la personne détenue, les policiers n’ont pas en tant que telle une obligation d’attendre avant de suggérer de consulter l’aide juridique. Elle se fonde sur l’arrêt la Reine contre Willier, dans le cadre duquel, selon la Cour suprême, si la personne détenue n’arrive pas à contacter l’avocat de son choix, le seul fait pour la police d’indiquer au détenu qu’un avocat de garde est disponible n’enfreint pas le droit à l’avocat. Le caractère bref du délai entre le message téléphonique laissé à l’avocat choisi et la poursuite de l’enquête n’est pas forcément déterminant, comme l’indique la Cour suprême dans cette affaire ».

« Sommes-nous devant un cas où la police a proposé à la requérante de consulter l’avocat de garde, sans coercition, et où la requérante a accepté librement de consulter l’aide juridique? »

Le policier témoigne qu’après avoir laissé un message à l’avocat de l’accusée, il lui demande si elle désirait communiquer avec un autre avocat. Il lui indique qu’elle pouvait attendre un retour d’appel mais, vu l’heure tardive, il y avait peu de chances que l’avocat retourne l’appel. Selon le policier, « c’est l’accusée qui lui demande alors de consulter l’aide juridique ».

La Cour ne croit pas son témoignage. Il « n’a pas pris de note concernant ses échanges avec elle. Il convient qu’il ne se rappelle pas des mots utilisés par la requérante. Son récit est contredit par celui de la requérante. Au surplus, la vidéo déposée en preuve révèle que le sergent n’a jamais parlé en s’adressant directement à la requérante. Le visionnement de cette vidéo laisse croire qu’il n’y a eu entre eux aucun échange verbal. Le Tribunal constate que le sergent ne peut donc pas lui avoir dit qu’elle pouvait attendre un retour d’appel et qu’elle ne lui a donc pas demandé de consulter l’aide juridique ». Le témoignage du sergent à ce sujet est écarté.

L’accusée « témoigne qu’elle ne s’est pas vu offrir l’opportunité d’attendre un retour d’appel de son avocat. Elle dit qu’elle aurait aimé attendre son retour d’appel. Elle convient qu’elle ne l’a pas demandé expressément, mais affirme que les policiers ne lui disent jamais que c’est possible.

Certes, la requérante ne revendique pas son droit avec beaucoup de véhémence, mais il n’y a pas lieu de conclure qu’elle l’exerce avec négligence. Elle collabore tout simplement avec les forces de l’ordre ».

La version de l’accusée est à l’effet que le policier « se montre insistant pour qu’elle consulte un avocat disponible 24 heures sur 24 qui va donc répondre immédiatement. Il s’adresse à elle gentiment, mais se montre insistant pour qu’elle consulte immédiatement. Il dit qu’elle doit absolument parler à un avocat en vue de la suite des choses. Il lui suggère fortement de parler à un avocat qui est disponible immédiatement. Pour l’agent, dit-elle, ça semble important qu’elle ait sa consultation juridique tout de suite ». L’accusée « témoigne qu’elle croit n’avoir aucun autre choix que de consulter l’aide juridique ».

Si un délai raisonnable avait été accordé à l’accusée après avoir laissé un message sur la boîte vocale de son avocat et voyant qu’elle n’avait pas de retour d’appel, elle aurait alors pu choisir librement de communiquer avec un autre avocat. « Les policiers l’ont privé de cette possibilité ».

« Le Tribunal constate que la requérante ne choisit pas librement de consulter l’aide juridique. Elle obtempère tout simplement à ce que l’agent lui dit de faire. La collaboration d’un citoyen avec les forces de l’ordre ne doit pas être confondue avec la renonciation à exercer un droit. Cela n’a pas pour effet d’enlever aux policiers leur obligation d’offrir à la personne détenue une possibilité raisonnable de consulter l’avocat de son choix.

Une personne détenue peut renoncer au droit garanti par l’alinéa 10b). Toutefois, selon la Cour suprême dans l’arrêt Willier, la décision de renoncer au droit à l’assistance d’un avocat doit être prise en toute connaissance de cause. Dans l’arrêt Prosper, le juge Lamer explique ainsi les paramètres applicables à une renonciation valide de l’exercice du droit à l’avocat :

« (…) les tribunaux doivent s’assurer qu’on n’a pas conclu trop facilement à la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat garanti par la Charte. En fait, j’estime qu’il y aura naissance d’une obligation d’information supplémentaire de la part de la police dès que la personne détenue, qui a déjà manifesté son intention de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat indique qu’elle a changé d’avis (…)

Compte tenu de l’importance du droit à l’assistance d’un avocat, j’ajouterais à l’égard de la renonciation que, dès lors qu’une personne détenue a fait valoir son droit, il faut qu’elle donne par la suite une indication claire qu’elle a changé d’avis, et il appartiendra au ministère public d’établir qu’elle y a clairement renoncé (…) »

Dans les circonstances à l’étude, la requérante collabore avec les forces de l’ordre. Elle ne renonce pas à exercer son droit à l’avocat au sens de l’arrêt Prosper, ni ne renonce à consulter » son avocat personnel.

« Enfin, le Tribunal note que, dans l’affaire Willier, l’accusé se disait satisfait de sa consultation juridique avec l’avocat de garde. De même, dans l’affaire McCrimmon, l’accusé était satisfait et précisait avoir compris les conseils de l’avocat de garde. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas en l’espèce.

La requérante témoigne que, lors de sa consultation avec l’avocat de l’aide juridique, elle ne comprend rien et ne fait que pleurer. À l’issue de sa consultation juridique, l’agent Mercier lui demande si ça s’est bien passé et si elle est satisfaite. Elle lui répond que la consultation a été trop rapide et qu’elle n’a rien compris. Notons que la version de la requérante à cet égard n’est pas contredite. L’agent Mercier pense effectivement lui avoir posé la question. Toutefois, il ne sait plus ce qu’elle a répondu. Il n’a pas noté sa réponse. L’agent convient d’ailleurs que même après avoir consulté l’avocat de l’aide juridique, la requérante montre toujours les mêmes signes d’émotivité. » Le policier indique également à la Cour qu’il n’a pas proposé à l’accusé de tenter de rejoindre à nouveau son avocat personnel ou même de consulter un autre avocat de son choix.

« En somme, les policiers ont enfreint le droit de la requérante à l’assistance de l’avocat de son choix. On lui offre la liste des avocats, sachant qu’elle en a déjà un et que ses coordonnées sont dans son cellulaire. Elle souhaite consulter son avocat et fournit le numéro pour le joindre. Ainsi, elle se montre diligente. Dès qu’un message est laissé à l’avocat choisi, la requérante est amenée à choisir immédiatement un autre avocat. On ne lui indique pas qu’elle peut attendre un retour d’appel. L’agent se montre insistant pour qu’elle consulte un avocat immédiatement, sans attendre de retour d’appel. Or, il n’y a aucune urgence. La requérante est dans un état de vulnérabilité. C’est à l’insistance du policier qu’elle accepte de consulter l’aide juridique. Elle croit n’avoir aucun autre choix. Sa conduite n’équivaut pas à une renonciation. Enfin, elle exprime son insatisfaction concernant sa consultation avec l’avocat de l’aide juridique. Elle semble aussi émotive avant qu’après sa consultation juridique. La réaction du policier est alors de se substituer à un avocat en lui donnant des explications lui-même. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut qu’il y a violation de l’alinéa 10b) de la Charte. »

Il reste maintenant à déterminer si l’exclusion de la preuve est le remède approprié dans la présente cause.

« Les éléments de preuve saisis par les policiers ont été obtenus dans des circonstances qui portent atteinte à la Charte. Le Tribunal doit donc déterminer si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

L’analyse sera faite à la lumière de la démarche élaborée par la Cour suprême dans l’arrêt Grant :

« [71] (…) Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Bien qu’elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu’ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente. ».

  1. a) La gravité de la conduite attentatoire de l’État

Le droit à l’avocat de son choix est un droit fondamental qui doit être jalousement protégé.

En l’espèce, l’atteinte à l’alinéa 10b) de la Charte n’est pas technique ou mineure. Elle prend ici différentes formes.

La précipitation avec laquelle les policiers procèdent au prélèvement des échantillons d’haleine n’est pas acceptable. Aucun délai raisonnable n’est accordé pour permettre un retour d’appel de son avocat. Dès qu’un message est laissé à l’avocat, la l’accusée est amenée à choisir immédiatement un autre avocat, sans qu’on lui indique qu’elle peut attendre un retour d’appel. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette démarche.

Les policiers contraignent la requérante à consulter l’aide juridique, ce qui n’est pas acceptable dans le cas de l’espèce où il n’y a pas d’urgence et où la requérante est dans un état de vulnérabilité. Le Tribunal souhaite se dissocier de cette démarche. Que l’avocat choisi par la requérante soit perçu par les policiers comme étant compétent ou non en matière criminelle ne change rien à leurs obligations constitutionnelles. La relation de confiance entre une personne détenue et son avocat est personnelle. Il n’appartient pas aux policiers de s’ingérer dans l’exercice de ce choix.

La réaction du policier, face à l’insatisfaction de la requérante suite à sa consultation avec l’aide juridique, est de se substituer à un avocat en donnant des explications lui-même. Le Tribunal souhaite également se dissocier de cette démarche.

Dans l’arrêt Harrison, la Cour suprême rappelle que si la dérogation est flagrante ou si les policiers devaient savoir que leur conduite ne respectait pas la Charte, le Tribunal devrait se dissocier de leur démarche. C’est exactement le cas en l’espèce.

Le Tribunal ne peut pas considérer les deux policiers comme étant de bonne foi. Le droit de consulter l’avocat de son choix ne représente pas une question complexe et controversée. L’état du droit est clair sur l’obligation d’accorder une possibilité raisonnable et réelle d’avoir recours à l’avocat de son choix. »

« L’analyse de ce premier critère milite fortement en faveur de l’exclusion de la preuve.

  1. b) L’incidence de la violation sur les droits du requérant

Le Tribunal considère que la violation de l’alinéa 10b) est grave et qu’elle a des impacts importants.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la dimension psychologique entourant la restriction du droit à l’avocat. Dans R. c. Lefebvre, une affaire dans laquelle un policier refuse d’appeler l’avocat choisi par l’accusé parce qu’il n’est pas criminaliste, le juge Cournoyer de la Cour supérieure indique : « Les droits se rattachant à la détention, et notamment celui de consulter l’avocat de son choix, “entrent en jeu du fait que la personne qui a été placée sous le contrôle des autorités de l’État se trouve en position de vulnérabilité” (…) ».

Le fait que la requérante ait consulté l’aide juridique avant de se soumettre au prélèvement d’échantillons d’haleine n’a pas pour effet de mitiger l’atteinte à l’alinéa 10b) de la Charte. En effet, à l’issue de sa consultation avec l’aide juridique, la requérante exprime son incompréhension et son insatisfaction. Notons que la requérante s’est montrée émotive et que même après sa consultation avec l’aide juridique, son état n’a pas changé.

La poursuite a plaidé des affaires semblables dans le cadre desquelles la preuve avait été déclarée admissible malgré l’existence d’une violation du droit à l’avocat de son choix. Dans plusieurs d’entre elles, toutefois, l’accusé n’avait pas témoigné sur voir-dire. En outre, les accusés s’étaient généralement déclarés satisfaits de leur consultation juridique. Ainsi, dans l’affaire Porchetta, citée par la poursuite, la requérante avait consulté un autre avocat et s’en disait satisfaite. Il en va de même dans l’affaire Doucet-Turbide. Dans l’affaire Bourdon, également citée par la poursuite, le requérant avait signé un formulaire attestant que, suite à sa consultation avec l’aide juridique, il avait bien compris et exercé ses droits. Par conséquent, ces affaires se distinguent du cas à l’étude.

L’analyse du second critère milite en faveur de l’exclusion.

  1. c) L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

L’application du troisième critère implique un exercice délicat où le Tribunal doit soupeser les conséquences de l’exclusion de la preuve, tant sur la considération dont jouit l’administration de la justice que sur la recherche de la vérité.

Le résultat de l’alcootest est une preuve fiable, pertinente et essentielle à la preuve à charge. L’intérêt sociétal à ce que l’affaire soit jugée au fond coule de source. Toutefois, le Tribunal estime que la société n’a pas intérêt à ce que les policiers se conduisent comme ils l’ont fait en l’espèce.

La mise en balance des facteurs en présence

Dans l’arrêt Morelli, la Cour suprême a déterminé qu’à ce stade de l’analyse, il faut tenir compte des répercussions à long terme sur la considération dont jouit l’administration de la justice. Ainsi, nous devons porter notre regard sur l’incidence future que risque d’avoir l’admission de la preuve obtenue en violation des droits constitutionnels.

Les atteintes au droit à l’avocat se soldent généralement par l’exclusion de la preuve. Il importe que les agents de l’État comprennent bien la nécessité de respecter l’ensemble des valeurs protégées par l’alinéa 10b) de la Charte.

La société ne peut pas tolérer que les forces policières contournent leurs obligations constitutionnelles dans le but de faciliter ou d’accélérer leurs enquêtes lorsque, comme en l’espèce, il n’y a aucune urgence.

Évidemment, la tâche des policiers serait beaucoup plus simple si, entre 18 heures et 8 heures du matin, ils n’avaient qu’à composer un seul numéro, celui de l’aide juridique. Le Tribunal estime toutefois que le libre-choix de l’avocat serait vidé de son sens si les personnes détenues à l’extérieur des heures habituelles d’ouverture des cabinets d’avocat pouvaient consulter uniquement l’aide juridique.

Seule l’exclusion de la preuve permet de se dissocier adéquatement de la conduite des policiers et de préserver à long terme la considération dont jouit l’administration de la justice. Après avoir pondéré les trois critères, le Tribunal conclut que l’utilisation de la preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’exclusion est le seul remède efficace pour affirmer l’importance du droit à l’avocat de son choix. »

CONCLUSION

Suite à son analyse, concluant à la violation du droit à l’avocat en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, la Juge ordonne l’exclusion des résultats des prélèvements d’échantillon d’haleine effectués à l’aide de l’ivressomètre, ce qui fait en sorte que l’accusée est acquittée d’avoir conduit un véhicule moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang.

Référence : La Reine c. Lorrain – cause # 550-01-107317-184
Jugement du 20 avril 2020 de l’Honorable Alexandra Marcil, J.C.Q. de la Cour du Québec « Chambre criminelle et pénale » du district de Gatineau.

Me Micheline Paradis, Avocate
Alcool au Volant – Plus de 30 ans d’expérience
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