Acquittement Alcool au Volant – Jugement du 6 juillet 2020

Non coupable pour alcool au volant acquitté conduite avec les facultés affaiblies

Dans la présente cause, la Juge conclut qu’un délai de 20 minutes avant de procéder à un test de dépistage d’alcool, ainsi qu’un délai de près d’une heure avant de permettre à l’accusé de consulter son avocat, résultent en des violations sérieuses des droits de l’accusé et, par conséquent, la Juge décide que le résultat des tests d’alcoolémie de l’accusé ne pourra servir de preuve contre lui et il est donc acquitté.

L’accusé est accusé de conduite avec les facultés affaiblies et d’avoir conduit avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

La défense plaide que les droits de l’accusé ont été violés dans la présente affaire et demande à la Cour d’exclure les tests d’ivressomètre de la preuve contre lui.

CONTEXTE ET FAITS EN PREUVE

L’accusé est intercepté par les policiers, en fin d’après-midi, au motif qu’il aurait brûlé un feu rouge, ce que l’accusé nie dès son interception.

Le policier « constate alors une odeur d’alcool qui émane de l’accusé, confirme qu’il a consommé de l’alcool, obtient des soupçons et le détient en attente d’un appareil ADA qui sera apporté par deux de ses collègues. »

 

Une fois l’appareil sur les lieux, le policier procède au test de dépistage à l’aide de l’ADA (appareil de détection approuvé) et sa collègue est alors présente. L’accusé fournit le souffle demandé et échoue le test. Il est alors placé en état d’arrestation pour alcool au volant et on lui lit ses droits.

Suite à la lecture du droit à l’avocat, l’accusé manifeste immédiatement son désir de communiquer avec son avocat.

Bien que l’ordre de suivre les policiers au poste pour procéder aux tests d’ivressomètre n’a pas été lu, le policier indique à l’accusé qu’il devait être transporté au poste de police afin de faire les tests d’ivressomètre pour connaître son alcoolémie.

Réalisant qu’il avait oublié de lire l’ordre, le policier communique avec ses collègues qui transportent l’accusé vers le poste afin de les aviser de son omission et l’ordre sera finalement lu une fois rendu au poste, soit près d’une heure après avoir procéder à l’arrestation de l’accusé.

L’accusé est placé à bord du véhicule patrouille de deux policières, « qui se dirigent au poste de police de Ste-Julie, un trajet à l’heure de pointe de plus de 30 minutes. Bien que ce ne soit pas le poste le plus près des lieux de l’infraction, c’est le seul poste où elles sont certaines de pouvoir avoir accès à un technicien qualifié, un bloc cellulaire et un bureau pour permettre l’appel à l’avocat. »

Il est à noter certaines précisions ici :

1) L’infraction du feu rouge est constaté à 15h44;

2) L’accusé est placé en état d’arrestation pour alcool au volant à 16h06;

3) L’accusé communique avec un avocat à 17h08;

4) L’accusé est libéré du poste de police à 18h08;

5) La durée totale de la détention est de près de 2h30;

6) Aucun symptôme de facultés affaiblies n’est constaté par les policiers;

La poursuite a fait témoigner trois policiers dans la présente cause et, bien que la défense n’ait fait entendre aucun témoin, elle a déposé en preuve certains documents dont « la vidéo de l’intersection où le policier dit avoir constaté une infraction au Code de la sécurité routière. »

LES QUESTIONS EN LITIGE

La Juge doit répondre à plusieurs questions en litige dans la présente cause :

1) Est-ce que le test de dépistage a été effectué conformément aux dispositions du Code criminel?

2) Est-ce que l’ordre de fournir un échantillon d’haleine a été fait conformément aux dispositions du Code criminel?

3) Est-ce que les tests d’ivressomètre ont été fait dès que matériellement possible tel que le prévoit le Code criminel?

4) Est-ce que le droit à l’avocat prévu à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été violé?

5) Et s’il y a eu violation aux droits de l’accusé, est-ce que le résultat des tests d’alcoolémie doit être exclu de la preuve tel que le prévoit l’article 24(2) de la Charte?

CONSTATATIONS PRÉLIMINAIRES PAR LA JUGE

Avant de procéder à l’analyse des questions en litige, la Juge expose certains constats dans son jugement :

1) Les 3 policiers qui ont rendu témoignage durant l’audition « présentent une version qui manque de fiabilité, qui est définie par un certain laxisme dans la prise de notes et la façon de colliger les informations importantes incluant les heures précises. Les tribunaux ont rappelé régulièrement que l’absence de notes est un élément dont on doit tenir compte dans l’analyse d’un témoignage, et de nature à affecter la fiabilité et/ou la crédibilité. »

Le témoignage d’un des policiers est d’ailleurs qualifié de « laborieux à plusieurs égards. »

« Il affirme que le véhicule du requérant accélère en franchissant l’intersection alors que la lumière est rouge. La vidéo de l’intersection établit clairement que le véhicule n’accélère pas, maintient une vitesse constante.

Il est contredit par sa collègue lorsqu’il affirme avoir vérifié les documents dans le boitier en prenant l’appareil ADA.

Il s’est contredit sur l’utilisation de la carte d’appel pour rédiger son rapport et soutenir sa mémoire. Après avoir affirmé que la carte a été sa source d’informations pour indiquer les différentes heures dans son rapport, il a affirmé le contraire. N’ayant pris aucune note, il admet ne s’être fié qu’à sa mémoire.

Il s’est contredit sur le fait d’avoir parlé avec ses collègues le jour de l’audition. Il est contredit par sa collègue qui reconnait avoir discuté des faits de la cause lors de la rencontre préparatoire entre les trois policiers et la procureure de la poursuite, le jour du procès.

Il est contredit par la procureure de la poursuite sur le fait d’avoir été avisé que le débat s’articulait autour d’une requête en vertu de la Charte. Après avoir nié s’être entretenu avec la procureure au sujet de l’existence et du contenu de la requête de façon claire et précise, il doit être corrigé » par l’admission de la procureure de la poursuite à l’effet qu’elle avait effectivement discuté avec ce policier « de l’existence et du contenu de la requête qui allait être présentée.

Force est de constater que n’eut été de la franchise et la transparence de la procureure de la poursuite, le Tribunal serait resté sous l’impression que l’existence et le fondement de la requête n’avaient pas été communiqués aux policiers, ce qui est inexact. »

La Juge indique, toujours au sujet du même policier, qu’il « a manqué de précision ou se méprend sur certains faits importants » :

– Il se trompe sur l’heure à laquelle le feu rouge est brûlé;

– Il affirme avoir remarqué que le feu était rouge au moment où l’accusé franchit l’intersection car il commençait à faire noir. Selon la vidéo déposée en preuve par la défense dans le présent dossier, il est clair que lorsque l’accusé  franchit l’intersection, il fait encore jour. De plus, le visionnement de la vidéo nous permet de constater qu’il est impossible de distinguer la couleur de la lumière car celle-ci est muni d’oeillères de chaque côté;

– Il affirme avoir suivi le véhicule de l’accusé sur une distance de 100 mètres alors qu’il s’agit en réalité de 500 mètres;

– Il affirme qu’il n’a pas de souvenir des conversations avec l’accusé ce jour-là, incluant la conversation relativement au droit à l’avocat;

– « Il ne se souvient pas pourquoi il a mis du liquide correcteur à l’endroit où l’heure de l’infraction s’est produite, altérant ainsi le constat d’infraction original (envoyé ensuite par la poste). »

Toujours au sujet du même policier, la Juge ajoute qu’il « cherche à justifier à tout prix certains faits ce qui rend sa version difficilement conciliable objectivement :

– Confronté au fait qu’il a laissé seul le requérant (à l’intérieur ou à l’extérieur de son véhicule, ce n’est pas clair), en attendant l’arrivée de l’ADA, il suggère qu’il était tout à fait à même de le surveiller adéquatement pour assurer qu’il n’a pas éructé ou consommé de l’alcool. Sachant que le véhicule de l’accusé a les vitres teintées et que lui-même est assis dans sa voiture patrouille, cette affirmation est pour le moins surprenante. »

La Juge précise également qu’il a été laborieux, pour une des policières ayant témoigné, d’admettre qu’elle avait discuté du présent dossier ainsi que de la requête en vertu de la Charte.

Pour ce qui est de la policière présente lors du test de dépistage, elle témoigne à l’effet qu’elle n’a pas pris de note pendant cette intervention car elle craignait pour sa sécurité. Considérant que les 2 autres policiers ayant témoigné ont indiqué à la Cour que l’accusé était « très calme et collaboratif », il y a de quoi faire sourciller. De plus, cette policière indique à la Cour qu’elle ne se rappelle plus de la conversation entre le policier qui a lu les droits à l’accusé et ce dernier, ni la réaction de celui-ci relativement à l’exercice du droit à l’avocat.

La Juge indique, concernant le témoignage du policier ayant procédé à l’arrestation de l’accusé, que son témoignage donnait « une forte impression que celui-ci cherchait à donner « la bonne réponse », celle qu’il croyait que l’on attendait de lui. Plutôt que de se concentrer sur les faits tels qu’il se les rappelait (ou pas), le témoin répondait de façon complaisante ou utile à ce qu’il croyait être de nature à rencontrer les attentes de la poursuite. »

La Juge constate que le policier « manque d’expérience. Le Tribunal ne retient pas qu’il a délibérément menti. Ceci dit, il devient périlleux, au moment d’analyser les faits, de départager ce dont le témoin se souvient vraiment, ce qu’il croit avoir fait ou dit par habitude ou par déduction, de ce qui est simplement inexact.

Il est évident que son témoignage manque de fiabilité et mérite d’être analysé prudemment. »

ANALYSE ET DROIT APPLICABLE

La Juge va maintenant analyser la preuve qu’elle a entendue et répondre aux questions en litige ci-haut mentionnées.

1) Est-ce que le test de dépistage a été effectué conformément aux dispositions du Code criminel?

La prétention de la défense à ce sujet est à l’effet « que le délai de 20 minutes avant d’être soumis à la prise d’échantillon dans l’ADA ne rencontre pas le critère de l’immédiateté prévu au Code criminel. L’ordre serait ainsi invalide et entrainerait une détention prolongée, une fouille sans mandat et une saisie de l’échantillon illégale. La preuve devrait être exclue suivant 24 (2) de la Charte. »

La procureure de la Couronne plaide que le test de dépistage rencontre les exigences de la loi si l’on considère l’ensemble de faits et plus particulièrement le fait que le policier a dû attendre l’arrivée d’un appareil de détection car il n’en avait pas un en sa possession lors de son intervention initiale.

Dans la présente cause, comme l’accusé ne présentait aucun symptôme de facultés affaiblies, l’obtention des motifs raisonnables et probables afin de procéder à l’arrestation de l’accusé provenait uniquement de l’échec au test de dépistage d’alcool. Bien que le policier témoigne à l’effet qu’il a constaté une odeur d’alcool et que l’accusé ait admis à ce dernier avoir consommé de l’alcool, ces seuls faits ne sont absolument pas suffisants pour procéder à l’arrestation de l’accusé pour alcool au volant, donc l’échec au test de dépistage était primordial pour l’obtention des motifs suffisants pour l’arrestation de l’accusé.

« Le test dans un appareil de détection approuvé constitue une fouille sans mandat. Une telle fouille est présumée abusive et il appartient à la poursuivante d’établir qu’elle ne l’est pas. L’on doit garder à l’esprit qu’en attente du test, le droit à l’assistance d’un avocat est suspendu alors que l’accusé est de facto en détention.

Le Code criminel exige que le test se fasse immédiatement.

L’article 254(2) du Code criminel prévoit la règle en ces mots:

(2) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule — véhicule à moteur, bateau, aéronef ou matériel ferroviaire — ou en a eu la garde ou le contrôle ou que, s’agissant d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, elle a aidé à le conduire, le véhicule ayant été en mouvement ou non, peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a) et b), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin.

b) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé (nos soulignements);

Les tribunaux se sont penchés à maintes reprises sur le sens à donner au mot immédiatement et le concept présentes encore à ce jour un certain défi d’application.

Les enseignements pertinents retenus par le Tribunal sont les suivants :

La Cour suprême dans Woods explique ainsi le compromis entre l’élimination souhaitée de la conduite avec les capacités affaiblies et le respect des droits imposé par la Charte : L’exigence d’immédiateté prévue au par. 254(2) du Code criminel est inextricablement liée à l’intégrité constitutionnelle de cette disposition. Elle justifie les fouilles, perquisitions et saisies abusives, la détention arbitraire et l’atteinte au droit à l’assistance d’un avocat, malgré les art. 8, 9 et 10 de la Charte. Dans l’interprétation de l’exigence d’immédiateté, la Cour ne doit pas perdre de vue non seulement le libellé choisi par le législateur, mais aussi l’intention du législateur de trouver un compromis, dans le Code, entre l’intérêt du public à ce que la conduite avec facultés affaiblies soit éliminée et la nécessité de préserver les droits individuels garantis par la Charte.

L’arrêt Thomsen est l’une des premières décisions à traiter des préoccupations constitutionnelles relatives à la détention d’automobilistes sur le bord de la route. La Cour a conclu que le fait de ne pouvoir recourir à l’assistance d’un avocat violait l’al. 10b) de la Charte, mais que cette violation était justifiée au regard de l’article premier de la Charte, car elle se trouve dans les limites raisonnables prescrites par la loi. L’exigence d’immédiateté prévue au par. 254(2) est d’une certaine façon le corollaire du fait qu’il n’est pas possible de communiquer avec un avocat avant d’avoir obtempéré à l’ordre de fournir un échantillon d’haleine dans un ADA.

La Cour suprême dans Grant enseigne que l’on donner au mot immédiatement le sens commun. Dans cette affaire, le délai de 30 minutes qui précède le test, provoqué par le besoin d’obtenir un appareil sur les lieux, entraine le constat que le test n’a pas été administré immédiatement : Rien dans le contexte du par. 238(2) [devenu 254(2) à la suite de modifications sans importance ici] ne permet d’attribuer au mot « immédiatement » un sens différent de celui que lui donne habituellement le dictionnaire, soit que l’échantillon d’haleine doit être fourni tout de suite. Sans analyser plus à fond le nombre exact de minutes qui peuvent s’écouler pour que l’on puisse considérer que l’échantillon d’haleine n’a pas été fourni « immédiatement », je ferais tout simplement observer que, dans le cas, comme en l’espèce, où le policier qui donne l’ordre n’a pas d’alcootest (A.L.E.R.T.) en sa possession et où le dispositif en question n’arrive qu’une demi-heure plus tard, l’ordre donné ne respecte pas ce qui est prescrit au par. 238(2).24.

Dans l’arrêt Bernshaw, le juge Sopinka conclut que l’immédiateté dépend des circonstances et une attente de 15 minutes pour assurer la fiabilité du test est acceptable.

La jurisprudence établit ainsi que le test n’a pas à être fait dans la minute qui suit la cristallisation des motifs de soupçonner. La Cour d’appel a indiqué récemment qu’un délai pouvant aller jusqu’à 15 minutes est acceptable.

Un test qui n’est pas administré immédiatement ne respecte pas les prescriptions du Code criminel et entraine une détention arbitraire.

L’on ne peut se pencher sur l’application des précédents jurisprudentiels sans revoir l’opinion de la Cour d’appel dans Piazza. Le délai pour obtenir l’appareil était alors de 10 minutes. Le juge Vauclair fait un long résumé de l’évolution de la jurisprudence. Au terme d’une révision exhaustive, il pose la question, toujours d’actualité, en ces termes : Peut-on ou ne peut-on pas attendre « un peu » avant de faire passer l’ADA?

Même si au final, le Juge Vauclair conclut que c’est l’arrêt Petit qui prime, les passages suivants de la décision sont pertinents.

Reprenant les 5 propositions émises par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Quansah, le Juge Vauclair les commente et le Tribunal reproduit les passages suivants sur lesquels il appuie son analyse :

Elle termine en formulant cinq propositions à propos de l’immédiateté : 1) l’immédiateté s’interprète dans un contexte où le législateur tente de trouver un équilibre entre la répression du crime et les droits constitutionnels; 2) le délai commence au moment où le policier acquiert les soupçons visés à 254(2) C.cr.; 3) le temps nécessaire entre le moment où le policier acquiert les soupçons pour donner l’ordre et la réponse ne doit pas être plus que ce qui est nécessaire pour permettre au policier d’accomplir ses fonctions; 4) il faut prendre en compte toutes les circonstances y compris le délai pour faire apporter l’appareil qui n’est pas en possession du policier qui fait la demande, le délai nécessaire pour obtenir un résultat fiable ou celui exigé par des questions de sécurité et 5) s’il est possible pour la personne détenue d’exercer son droit en raison du délai, l’ordre ne satisfait pas l’immédiateté. Avec égards, je ne partage pas toutes ces propositions.

Je suis d’accord avec la première proposition qui reprend essentiellement ce qu’avait dit la Cour suprême. Comme j’ai tenté de le démontrer, je crois que l’équilibre est strictement encadré par un délai précis et bien identifié par les différents jugements de la Cour suprême.

Je suis également d’accord avec la seconde proposition, voulant que le délai de donner l’ordre promptement débute au moment où les soupçons sont acquis.

Enfin, avec égards, je ne crois pas que les quatrième et cinquième propositions de l’arrêt Quansah soient conformes aux exigences du paragraphe 254(2) C.cr. sauf en ce qui touche les délais liés à la préparation de l’appareil et celui nécessaire pour assurer la fiabilité du test.

Ainsi, l’équilibre entre la mise en oeuvre de cette méthode de détection et la suspension des droits constitutionnels est rompu si le délai résulte de l’incapacité de l’État de permettre au conducteur à qui l’ordre est donné de répondre immédiatement.

Permettre que l’ordre soit différé jusqu’à ce qu’il soit pratique ou possible de faire passer le test heurte de plein fouet, il me semble, les principes établis par la Cour suprême. Même si je le souhaitais, comme l’indique ma note liminaire, je ne peux pas refuser d’appliquer les arrêts de la Cour suprême : R. c. Comeau, 2018 CSC 15, par. 26; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 38.

Quoi qu’il en soit, on ne peut non plus ignorer que le libellé du délai autorisé, soit « immédiatement », n’a jamais été modifié, malgré les nombreuses occasions qu’a eues le législateur, comme en témoignent les modifications exposées plus avant.

Autoriser un délai pour que l’appareil soit apporté sur les lieux ne permet pas non plus de déterminer à partir de quel moment l’ordre n’est plus conforme et ne respecte plus le caractère d’immédiateté; est-ce 2 minutes, 5 ou 10, pourquoi pas 30 secondes de plus ou même 11 minutes? Est-ce que plus de 15 minutes sont acceptables? Existe-t-il un délai maximum? Pourquoi? Conceptuellement, quelle différence y a-t-il entre les 30 minutes refusées dans l’arrêt Grant, le délai de 15 minutes refusé dans l’arrêt Bernshaw et le 10 minutes de l’arrêt Petit ? Toutes ces questions ne trouvent aucune réponse suffisamment rationnelle pour se rattacher au texte de loi qui suspend le droit constitutionnel en cause.

Je n’ai aucune difficulté à conclure que le caractère d’immédiateté n’est pas respecté si le délai résulte de l’incapacité de l’État de permettre au conducteur à qui l’ordre est donné de répondre immédiatement.

En somme, pour les motifs exposés ci-devant, je suis d’avis que l’absence d’un ordre prompt dès que les soupçons sont acquis et l’absence de la possibilité d’y répondre immédiatement ne fait pas revivre le droit à l’avocat. Ce droit demeure suspendu jusqu’à la fin de l’enquête prévue au paragraphe 254(2) C.cr.

Je suis cependant d’avis que l’ordre est ici non conforme et par conséquent, il n’était pas générateur d’obligations de la part du conducteur.

Dans l’arrêt Petit, notre Cour a conclu qu’un court délai d’attente avant l’arrivée de l’ADA sur les lieux était acceptable. D’autres Cours d’appel ont également opté pour cette solution : R. v. Ritchie, 2004 SKCA 9; R. v. Janzen, 2006 SKCA 111; R. v. Higgins (1994), 1994 CanLII 6405 (MB CA), 88 C.C.C. (3d) 232 (C.A.A.). L’arrêt Petit n’en dit pas plus sinon que le délai pourrait aller jusqu’à 15 minutes. »

« L’affaire Petit, reprise dans l’affaire Piazza, établit le droit applicable au Québec. Un court délai avant d’administrer le test est acceptable. Il n’y a pas de nombre de minutes déterminé. Ceci dit, dans Piazza, le Juge Vauclair rappelle que le délai pourrait aller jusqu’à 15 minutes en ces mots : L’arrêt Petit n’en dit pas plus sinon que le délai pourrait aller jusqu’à 15 minutes.

L’on sait que dans Grant, le délai de 30 minutes a été jugé trop long, tout comme le délai de 15 minutes dans Bernshaw. Durant l’attente, l’on garde à l’esprit que le droit à l’assistance d’un avocat est suspendu.

Dans Petit le délai est ainsi expliqué par la Cour d’appel :

En l’instance, le test de dépistage a été ordonné à 2h50 et a débuté à 2h54. Contrairement à ce que plaide l’appelant, je suis d’avis que sa détention a débuté à 2h50 et non 13 ou 15 minutes avant le test de dépistage. Dans Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 128 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 1053, p. 1074, la Cour suprême a statué qu’ « il serait absurde de laisser croire qu’un interrogatoire de routine effectué par un douanier constitue une détention aux fins de l’al. 10b) »; ce principe, repris par la haute instance dans R. c. Orbanski, précité, paragr. 30, vaut tout autant, selon moi, pour un interrogatoire de routine effectué par les policiers après leur arrivée sur les lieux d’un accident. Il ne s’agit pas ici d’un cas où un véhicule est intercepté par la police et où le conducteur doit ensuite répondre à des questions; dans ce cas, la détention débute par l’arrêt forcé de la voiture. Retenant que ce n’est donc qu’à 2h50 que la détention de l’appelant a commencé, il y a lieu de parler d’une détention de l’appelant préalablement au test d’au plus quatre minutes. Un tel délai ne m’apparaît pas une atteinte déraisonnable aux droits de l’appelant alors qu’il existe de nombreux indices d’une possibilité de conduite avec des facultés affaiblies (je souligne)

Même en retenant pour fins de discussion que la détention ait pu débuter lorsque le policier Sauriol a appelé pour demander un ADA, elle serait de moins d’une dizaine de minutes.

L’on note donc que dans notre affaire, contrairement à l’arrêt Petit, il s’agit d’un cas où la détention débute au moment de l’interception puisque les soupçons sont formés dès le début de la conversation avec le conducteur. La détention préalable au test n’est donc pas de 4 minutes mais bien de 20 minutes et ne s’explique pas autrement que par l’attente de l’appareil.

On note aussi qu’une prémisse dans Petit semble motiver le tribunal à conclure à au caractère raisonnable du délai soit la présence de nombreux indices d’une conduite avec les capacités affaiblies. Force est de constater qu’il n’en est rien dans le cas du requérant. »

Dans la présente cause, l’accusé est intercepté à 15h45 et, à peine une minute plus tard, le policier soupçonne déjà la présence d’alcool dans l’organisme de l’accusé.  Le policier donne l’ordre pour le test de dépistage à l’accusé alors qu’il n’a pas l’appareil de détection en sa possession.

« La preuve n’établit pas si des explications ont été données au requérant sur les motifs de l’attente, mais il semble que non.

A 15h47 l’agent fait une première demande d’assistance qui demeure sans réponse.

A 15h49 l’agent fait une deuxième demande d’assistance.

A 16h02 le Tribunal retient de la preuve que l’appareil arrive sur les lieux.

A 16h05 ou 16h06 le résultat «Fail» est obtenu.

Il est difficile d’établir à quelle minute précise l’appareil est prêt pour le test, sachant que certaines explications et manipulations sont nécessaires. Considérant les difficultés provoquées par l’absence de notes contemporaines, l’on tente de refaire la chronologie à partir de la carte d’appel et du relevé des ondes policières. Ceci dit, tout se fait rapidement. »

« Le Tribunal retient que le délai se situe entre 18 et 20 minutes.

Aucune preuve n’a été présentée pour expliquer précisément les causes du délai.  L’on sait qu’un autre véhicule patrouille disposant d’un appareil est appelé sur les lieux. On ne sait pas où était ce véhicule au moment de la demande, ni la distance à parcourir ».

La Juge ajoute également que la preuve ne révèle pas si d’autres véhicules de police se trouvaient plus proche des lieux de l’interception et auraient pu apporter un appareil plus rapidement.

« La preuve ne révèle pas pourquoi l’on choisit d’envoyer un véhicule qui doit faire entre 10 et 15 minutes de trajet. Ces informations auraient pu jeter un éclairage différent puisque les policiers savent ou devraient savoir qu’il y a une certaine urgence à procurer un appareil ADA dans ces circonstances. »

La Juge précise également que le policier ayant témoigné à la Cour « affirme qu’il a fait la demande d’assistance pour l’ADA à 15h55 et donné l’ordre à 15h57, soit 8 à 10 minutes plus tard que dans la réalité.35 On note aussi que suivant le constat d’infraction reçu par le requérant, l’heure de l’infraction alléguée indiquée est 15h50, alors que les images issues des caméras filmant l’intersection et déposées par le requérant prouvent que l’heure de l’infraction est 15h44.

Il aura fallu présenter au témoin les bandes audio des échanges policiers durant son contre-interrogatoire pour établir avec justesse les heures. D’une part, le témoin ne pouvait s’en souvenir sans référer à son rapport qui a été rédigé de mémoire sans le support d’aucune note contemporaine. Et d’autre part, il est évident que les heures mentionnées au rapport ne sont pas exactes. La preuve révèle que le policier n’a pris aucune note de l’événement, il s’est fié à sa mémoire et a obtenu l’aide de ses collègues pour colliger les informations du rapport et du constat. Notons qu’elles non plus n’ont pas pris de notes autrement qu’en remplissant la carte d’appel et en disant les heures importantes à voix haute pour aider à les mémoriser.

Évidemment la prise de notes n’est pas obligatoire. » Cependant, la Juge précise que comme le policier ayant procédé à l’arrestation de l’accusé « est laissé seul près d’une demi-heure en attente du remorquage, on peut s’interroger sur le fait qu’il n’a pas alors jugé bon de documenter de façon contemporaine son intervention. On ne peut que constater que les mentions relatives aux heures importantes sont inexactes et entrainent donc un manque de fiabilité du témoin lors de son témoignage. »

La Juge rappelle que n’eut été de la preuve vidéo déposée en preuve par la défense, elle « n’aurait pas eu l’heure juste ».

La procureure de la poursuite plaide « qu’aucun témoin n’est parfait et que les irrégularités sont de peu d’importance. S’il est vrai que l’on ne peut attendre la perfection de tous les témoins, un témoin policier qui exécute une tâche somme toute habituelle comme émettre un constat en précisant la bonne heure d’infraction ou documenter une intervention liée à la commission d’une infraction criminelle devrait faire preuve de professionnalisme ou à tout le moins de prudence et s’assurer que les informations qu’il collige ou aura à colliger au moment de la préparation de son rapport sont exactes. Nous y reviendrons. Fin de la parenthèse.

Trois décisions qui ont suivi Piazza ont été soumises au Tribunal. Dans les 3, les délais de 23 minutes (Déry), 19 à 26 minutes (Gagnon) et 15 minutes (Boucher) ont été jugés contraires au Code criminel.

Au terme de l’analyse, le Tribunal est d’avis que le délai de 20 minutes ne rencontre pas le critère d’immédiateté en dépassant, sans explication précise, d’au moins 5 minutes le 15 minutes qui, suivant la jurisprudence, pourrait être le délai acceptable. Ce délai n’est pas lié à la préparation de l’appareil ou pour s’assurer de la fiabilité du test. Ce délai résulte uniquement du temps requis pour demander l’appareil sur les lieux. La preuve est muette quant aux circonstances entourant la demande : le choix d’un duo en particulier, si choix il y a eu, les préoccupations quant au délai, présentes ou non de celui ou celle qui assigne le duo, la distance qu’il devait parcourir à l’heure de pointe et/ou la possibilité que d’autres agents aient été disponibles et plus près.

À vrai dire, l’absence de cette preuve apparaît au Tribunal représentative de l’absence d’empressement qui caractérise l’ensemble de l’opération policière. Celle-ci se manifestera aussi au moment de permettre au requérant d’exercer son droit à l’avocat. »

La Juge ajoute également qu’aucun « des témoins policiers n’a manifesté le moindre signe que les délais étaient préoccupants. D’ailleurs, personne n’a pris de notes (autrement que la carte d’appel), ce qui aurait pu démontrer un début de prise de conscience d’une certaine urgence et le désir de documenter de façon précise et contemporaine la cause des délais et/ou les efforts qui ont été initiés pour les réduire au maximum.

Le Tribunal signale d’ailleurs que le constat indique que l’heure de l’infraction est 15h50 ce que l’on sait maintenant inexact. L’original du constat a été modifié par le policier qui a mis du liquide correcteur sur l’heure de l’infraction. Il témoigne avoir simplement répété la même heure parce que la première annotation n’était pas claire. Sauf que l’infraction a eu lieu six minutes plus tôt à 15h44. Évidemment l’on peut considérer que 6 minutes n’est pas une grave erreur sur l’ensemble d’une opération qui dure plus de deux heures. Mais 6 minutes font une différence notable lorsque la loi prévoit que les policiers doivent agir immédiatement. On constate au passage que n’eut été de la preuve matérielle soumise par le requérant, et les efforts de celui-ci pour concilier les heures réelles avec les heures trouvées aux différents documents policiers qu’il a obtenus, le Tribunal serait resté sous l’impression que l’ordre a été donné à 15h57 et le résultat obtenu dans les minutes qui suivent. Ce qui est inexact.

Le Tribunal conclut que la preuve testimoniale manque de fiabilité et de précisions. En l’absence de preuve établissant les circonstances entourant le délai nécessaire pour permettre à l’accusé de se soumettre au test à l’intérieur d’un délai de 20 minutes, le Tribunal conclut que, tenant compte de l’ensemble des circonstances spécifiques à cette affaire, le test n’a pas été fait immédiatement.

La prise d’échantillon nécessaire à permettre au policier de former ses motifs raisonnables et probables de croire à la commission d’une infraction criminelle est une fouille abusive dans le cadre d’une détention illégale. »

2) Est-ce que l’ordre de fournir un échantillon d’haleine a été fait conformément aux dispositions du Code criminel?

« Le Code prévoit les règles suivantes à l’article 254 :

(3) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des trois heures précédentes, une infraction prévue à l’article 253 par suite d’absorption d’alcool peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, lui ordonner :

a) de lui fournir dans les meilleurs délais les échantillons suivants :

(i) soit les échantillons d’haleine qui de l’avis d’un technicien qualifié sont nécessaires à une analyse convenable permettant de déterminer son alcoolémie,

(ii) soit les échantillons de sang qui, de l’avis du technicien ou du médecin qualifiés qui effectuent le prélèvement, sont nécessaires à une analyse convenable permettant de déterminer son alcoolémie, dans le cas où l’agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu’à cause de l’état physique de cette personne elle peut être incapable de fournir un échantillon d’haleine ou le prélèvement d’un tel échantillon serait difficilement réalisable;

b) de le suivre, au besoin, pour que puissent être prélevés les échantillons de sang ou d’haleine. »

La défense plaide, entre autre, que comme l’ordre de fournir les échantillons d’haleine dans l’ivressomètre n’a été donné qu’au poste de police, l’ordre ne respecte pas les dispositions du Code criminel.

La preuve entendue à ce sujet est à l’effet le policier a expliqué à l’accusé, dans ses propres mots, qu’il devait fournir les échantillons d’haleine requis pas la loi.

La Juge conclut que même si l’ordre n’a été lu qu’une fois rendu au poste de police vu l’oubli du policier ayant procédé à l’arrestation de l’accusé, le fait que le policier a expliqué en ses propres mots, sur les lieux de l’arrestation, le fait que l’accusé devait subir la prise des échantillons d’haleine afin de mesurer son alcoolémie, ces explications sont suffisantes pour rencontrer les dispositions du Code criminel.

3) Est-ce que les tests d’ivressomètre ont été fait dès que matériellement possible tel que le prévoit le Code criminel?

La défense plaide que les tests d’ivressomètre n’ont pas été fait dès que matériellement possible tel que le prévoit le Code criminel.

La Juge indique ce qui suit à ce sujet :

« Récemment, mon collègue le Juge Labrie résumait ainsi les règles que le Tribunal doit analyser :

1. D’abord, la poursuite a le fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment;

2. L’exigence législative de prélèvement « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » ne signifie pas que le prélèvement doit être fait aussitôt que possible;

3. L’expression signifie plutôt que les prélèvements doivent être effectués dans un délai raisonnablement rapide, compte tenu de l’ensemble des circonstances;

4. Afin de procéder à cette évaluation, la pierre angulaire de l’analyse est de déterminer si les forces policières ont agi de manière raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances;

5. Les policiers ont l’obligation d’agir à l’intérieur d’un délai relativement court, compte tenu des circonstances de l’affaire. Ils doivent agir relativement promptement;

6. La poursuite n’a pas l’obligation de présenter une preuve expliquant de façon détaillée, minute par minute, l’intervention policière; Il suffit que soit démontré le caractère raisonnable du délai à l’intérieur duquel les échantillons d’haleine ont été prélevés. Une preuve circonstancielle peut être suffisante pour que la poursuite se décharge de son fardeau de preuve;

7. La Cour doit examiner la séquence complète des événements, en gardant à l’esprit la disposition du Code criminel qui prescrit l’ultime limite maximale de deux heures au-delà de laquelle la poursuite perd automatiquement le bénéfice de la présomption;

8. La Cour peut, lorsque cela est pertinent, considérer l’organisation des effectifs et les mesures administratives d’un service de police afin de déterminer si les prélèvements ont été effectués dès que matériellement possible. Cependant, le déroulement ne requiert pas la perfection temporelle, ni d’agir le plus rapidement possible, mais plutôt une organisation généralement raisonnable permettant aux policiers de prélever les échantillons d’haleine dans un délai raisonnablement rapide. »

« Dès que matériellement possible est un concept différent qui réfère à l’analyse de l’ensemble de la procédure. Il est évident que l’opération policière aurait mérité d’être accélérée et est caractérisée par un manque de souci du respect des droits de l’accusé.

Mais l’accusé doit être soumis au test à l’intérieur d’un délai total raisonnable. »

« Ainsi le Tribunal conclut que le premier test a été effectué à l’intérieur du délai de deux heures, et bien qu’il aurait été possible de le faire plus rapidement, la norme prescrite par le Code n’est pas aussi sévère et n’impose pas d’immédiateté ou l’obligation d’agir sans délai. En révisant l’ensemble des circonstances, le Tribunal est convaincu que le test a été fait dès que matériellement possible. »

4) Est-ce que le droit à l’avocat prévu à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été violé?

« Il appartient au requérant de prouver la violation qu’il allègue.

Les obligations des policiers relatives au droit à l’avocat ont été résumées ainsi dans l’affaire R. c. Boucher-Turbide:

Une fois informée par les policiers de son droit de communiquer avec l’avocat de son choix, une personne détenue peut ou non exercer ce droit.

Si la personne détenue choisit de l’exercer, elle déclenche alors certaines obligations qui incombent aux policiers. Ces derniers doivent lui donner une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat. Cependant, elle doit faire preuve de diligence.

Ce qui constitue une diligence raisonnable dans l’exercice du droit de communiquer avec un avocat dépend de l’ensemble des circonstances propres à chaque situation.

Dans R. c. Taylor, la Cour suprême rappelle que le double objet du droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10b) de la Charte consiste à :

1) permettre aux personnes détenues de recouvrer leur liberté;

2) les protéger contre les risques d’incrimination involontaire en leur permettant de choisir de façon libre et éclairée de parler ou non aux autorités52

La Cour suprême ajoute que trois obligations corrélatives incombent alors aux autorités :

1) information : il s’agit d’informer du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, de l’existence de l’Aide juridique et d’avocats de garde;

2) facilitation : lorsque la personne indique vouloir exercer son droit, les autorités doivent lui donner la possibilité raisonnable de le faire en privé, sauf urgence ou danger, vu que la personne est sous contrôle étatique;

3) abstention : les autorités doivent s’abstenir de soutirer les éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à possibilité raisonnable de contacter un avocat, sauf situations d’urgence ou de danger.

La Cour suprême confirmait dans l’arrêt Suberu que les enseignements de Ross demeurent inchangés vingt ans plus tard :

Une fois devenu applicable, l’al. 10b) impose aux policiers à la fois une obligation d’information et une obligation de mise en oeuvre. Leur obligation d’information consiste à informer le détenu de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. L’obligation de mise en oeuvre imposée par l’al. 10b) consiste à fournir au détenu une possibilité raisonnable d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.56

On y lit aussi que l’expression sans délai veut dire immédiatement :

« Sous réserve d’une menace pour la sécurité de l’agent ou du public, et des restrictions qui seraient prescrites par une règle de droit et justifiées au sens de l’article premier de la Charte les policiers ont l’obligation immédiate d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat et de faciliter l’exercice de ce droit dès le début de la détention. »

Il appartient à la poursuite d’établir que le délai est raisonnable dans les circonstances.

La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de faits.

Considérant les conclusions de la décision de Piazza déjà longuement résumées, le Tribunal doit conclure que durant l’attente de l’appareil de détection approuvé, la jurisprudence enseigne que le droit à l’avocat est suspendu. Le requérant n’établit pas de violation pour cette portion du délai, soit le premier 20 minutes.

Qu’en est-il pour l’heure qui suit. On peut résumer la question ainsi : en regard de leurs obligations constitutionnelles et répétées maintes fois par les tribunaux depuis les dernières années, les policiers ont-ils permis l’exercice du droit à l’avocat à la première occasion raisonnable ? »

L’on se doit de préciser ici que l’accusé mentionne vouloir parler avec un avocat dès 16h06.

Lors du témoignage de la policière, elle indique « que pour elle, le requérant a parlé à un avocat sans délai, soit dès que la circulation dense a permis de se rendre au poste de police et après avoir terminé les différentes procédures. À la question de voir si l’hypothèse de permettre l’accès immédiat à l’avocat a été envisagée, sachant que la route sera longue à l’heure de pointe, elle témoigne que de toute façon elle ne permet pas l’appel à l’avocat sur les lieux de l’arrestation. On comprend de son témoignage qu’elle considère que ce n’est pas pratique et possiblement de nature à entrainer des délais.

Le Tribunal retient du témoignage des policiers, ainsi que de leur attitude en salle de Cour, qu’il est évident que l’option de favoriser l’accès à un avocat sur les lieux n’a jamais été envisagée et ne pouvait l’être puisque, dit-elle : nous on le fait pas.

Le trajet entre le lieu de l’interception et l’arrivée au poste est d’environ 35 minutes soit entre 16h06 et 16h41.

Les démarches pour accéder au numéro de téléphone de l’avocate de l’accusé à l’aide de son cellulaire débutent à 17h05, 25 minutes après l’arrivée au poste et près d’une heure après l’arrestation.

Évidemment, sachant qu’aucune note n’est prise de façon contemporaine, il devient laborieux de revoir le délai de 25 minutes afin d’en préciser les causes. Au final le Tribunal retient qu’il a été provoqué par différentes démarches faites par les policières soit : l’entrée au poste avec le désarmement, l’écrou, la recherche de documents informatiques pour inclure au dossier, imprimer la carte d’appel, la vérification d’antécédents judiciaires, la discussion avec le technicien qualifié. Le Tribunal a beaucoup de difficulté à concevoir que ce genre de mesures ait pu prendre 25 minutes.

Près d’une heure s’écoule avant le premier contact avec un avocat. Il faut garder à l’esprit que dès 16h06 le requérant manifeste qu’il souhaite avoir accès à de l’assistance juridique. Le requérant a toujours été calme, coopératif, il n’a pas été menotté et ne présente pas de symptômes d’affaiblissement des capacités. Il a son cellulaire avec lui et les coordonnées de l’avocate s’y trouvent. À 16h06, on lui dit qu’il peut communiquer avec un avocat sans délai. Visiblement, ce ne sera pas le cas.

Les policières savent que c’est l’heure de pointe, elles choisissent de se rendre dans un poste qui n’est pas le plus près mais qui est le seul où elles sont certaines d’avoir accès à un technicien qualifié. Elles savent que le trajet sera plus long, ce qui s’avère juste dans les faits. Rien n’a été envisagé pour pallier au délai qui s’annonçait et laissait le requérant détenu, vulnérable et sans possibilité d’obtenir de l’aide.

La poursuite soutient que les policiers n’ont pas cherché à obtenir de la preuve durant la détention, ce qui serait de nature à écarter la violation. Cette prémisse a été soulevée dans l’affaire Aziz et le Juge de la Cour supérieure y répond en ces termes : Avec tous égards, l’intimé était également créancier d’une obligation concurrente en vertu de l’al. 10b), soit celle de se voir donner une possibilité raisonnable d’exercer son droit. Le fait de remplir l’obligation de ne pas lui soutirer de la preuve à ce moment ne soustrayait pas les agents Proulx à leur autre obligation de fournir à l’intimé une possibilité raisonnable de consulter un avocat.

Le Tribunal ne peut que déplorer qu’encore en 2018, l’on constate combien certains policiers font preuve de rigidité en omettant complètement d’envisager des options différentes lorsque la situation s’y prête voire l’oblige.

Il ressort des témoignages entendus une aura de nonchalance dans l’appréciation des faits et du délai qui ne peut que troubler et inquiéter le Tribunal.

Jamais les policières, alors que le Tribunal rappelle qu’elles sont deux, n’ont semblé le moindrement se soucier de l’accumulation des délais. Il est évidemment difficile de prévoir la durée exacte du trajet et le Tribunal ne leur reproche pas d’avoir choisi de se rendre à un poste de police où elles savaient avoir accès aux lieux et au personnel nécessaires.

Mais il est somme toute préoccupant de constater que le délai de 25 minutes après l’arrivée au poste a été utilisé pour procéder à documenter le dossier ou discuter avec le technicien qualifié sans qu’aucune mesure ne soit prise pour accélérer le processus ou prioriser l’appel à l’avocat.

Le Tribunal le constate dans la chronologie des faits, dans l’absence de prise de notes contemporaines qui auraient, encore une fois, démontré un début d’inquiétude ou de prise de conscience. Il le constate aussi dans leur façon de témoigner alors que pressées de questions en contre-interrogatoire, les deux policières ne semblent absolument pas envisager que les choses auraient pu être faites autrement.

Le Tribunal constate une rigidité à appliquer des procédures sans discernement, une incapacité ou un désintérêt à remettre en question des méthodes sans égards aux faits particuliers d’une arrestation.

Chaque cas est évidemment un cas d’espèce. Ceci dit, cette affaire présente des similitudes avec les faits retenus dans l’affaire Aziz, où la violation du droit à l’avocat a été confirmée par la Cour supérieure. La juge de première instance avait constaté un laxisme de même nature et conclut à une violation.

Et le Tribunal tient à souligner que déjà en 2014, la Cour du Québec dans l’affaire Lauzier avait conclu qu’une attente de 20 minutes pour les procédures initiales au poste de police alors que l’accusé est détenu depuis plus d’une heure, viole le droit à l’assistance d’un avocat sans délai. »

La Juge conclut donc également à une violation du droit à l’avocat de l’accusé.

5) Et s’il y a eu violation aux droits de l’accusé, est-ce que le résultat des tests d’alcoolémie doit être exclu de la preuve tel que le prévoit l’article 24(2) de la Charte?

La Juge, après avoir décidé que certains droits fondamentaux de l’accusé ont été violés, doit maintenant faire l’analyse selon les critères de l’arrêt Grant afin de déterminer si elle doit exclure de la preuve le résultat des tests d’alcoolémie de l’accusé.

La gravité de la conduite attentatoire de l’état :

« Le Tribunal est d’avis que la gravité de la conduite milite en faveur de l’exclusion de la preuve. La conduite des policiers est sérieuse et la violation de la Charte est double. La première violation entraine la détention arbitraire du requérant et une fouille illégale. N’eut été de l’échec de l’ADA, les policiers n’auraient pas acquis les motifs raisonnables requis pour procéder à l’arrestation du requérant. Les résultats des tests d’ivressomètre constituent aussi des éléments de preuve obtenus en violation des droits garantis par la Charte en mobilisant le requérant contre lui-même.

La violation du droit à l’avocat s’ajoute à la première et témoigne d’une insouciance voire de négligence des policiers à permettre l’accès à un avocat promptement, tel que les tribunaux l’enseignent depuis des décennies. »

« L’absence d’empressement à expliquer le délai de 18-20 minutes pour l’obtention de l’appareil ADA ou celui qui caractérise malheureusement le délai pour l’exercice du droit à l’avocat sont en soi des preuves du peu d’empressement démontré par l’état à assurer que la loi est respectée et que les droits du requérant sont compris.

Le Tribunal fait siens les propos de la Cour du Québec sous la plume du juge Vanchestein qui s’exprime ainsi sur l’importance du droit à l’avocat de son choix :

Communiquer avec un avocat lorsqu’une personne est arrêtée n’est pas un geste banal. Bien qu’en apparence cela puisse paraître routinier ou technique aux policiers, parce que ceux-ci savent très bien que dans ce type d’arrestation l’avocat doit conseiller la personne de fournir un échantillon, il n’en demeure que les conseils vont au-delà de cette simple évidence. »

« Dans R. c. Whitehead la Cour écrivait ce qui suit:

Bien qu’ils s’empressent à lire les droits constitutionnels, leurs faits et gestes subséquents reflètent clairement qu’ils n’en comprennent pas l’essence et la portée, ou s’ils la comprennent, leurs actions ne le reflètent pas.

Le droit à l’avocat semble plutôt perçu et compris par les policiers comme une formalité technique à être exécutée, sans trop en comprendre les implications réelles.

Le Tribunal conclut que cette affaire est une illustration de cette méprise et qu’ainsi, la conduite est sérieuse et le Tribunal doit s’en dissocier. »

L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé

« Dans Grant, la Cour suprême explique ainsi l’analyse à laquelle les juges doivent se soumettre : «l’examen de cette question met l’accent sur l’importance de l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l’accusé, et il impose d’évaluer la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause».

Le requérant a été détenu pendant près de deux heures, soumis à deux prises d’échantillons d’haleine et a finalement eu accès à un avocat seulement une heure après l’avoir demandé. Les violations ont un effet majeur sur les droits du requérant ce qui milite pour l’exclusion.

Le Tribunal fait siens aussi les propos de la Cour du Québec qui rendait jugement dans une affaire qui présente des enjeux similaires :

Il faut ajouter au déni du droit à l’avocat l’impact des fouilles illégales et l’obtention d’échantillons d’haleine en violation de l’article 8 de la Charte. Les résultats de l’ADA et de l’alcooltest ont été recueillis à la suite d’ordres invalides, dans un contexte où les droits constitutionnels du requérant n’avaient pas été respectés. L’accusé s’est mobilisé contre lui-même en fournissant des preuves corporelles. La première fois, quand il a fourni un échantillon d’haleine aux fins d’analyse par l’ADA, ce qui a mené à son arrestation. Puis quand il a donné un échantillon d’haleine pour fins d’analyse par l’alcooltest, il a fourni de la preuve justifiant sa mise en accusation.

L’exclusion de la preuve corporelle obtenue en mobilisant un accusé contre lui-même n’est plus quasi-automatique comme c’était le cas avant l’arrêt Grant. Et le Tribunal est conscient que l’obtention des échantillons d’haleine ne constitue pas la violation la plus importante des droits en matière de vie privée, d’intégrité corporelle et de dignité humaine. Mais dans les circonstances de ce dossier, le Tribunal conclut que le cumul des violations a eu une incidence importante sur les droits de l’accusé et les intérêts protégés par ces droits. »

L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond :

« La preuve recueillie est fiable et nécessaire pour l’intimée. Il va de soi que les affaires de capacités affaiblies sont très présentes devant les tribunaux et la société a intérêt à ce qu’elles soient jugées au fond.

Le Tribunal est conscient que l’exclusion ne doit pas être automatique même s’il s’agit d’une preuve qui émane directement de l’accusé, ceci dit, la tendance est forte en pareilles circonstances. Notre Cour suprême rappelle qu’il peut y avoir des cas où il devient nécessaire de se dissocier d’une conduite qui ne respecte pas les valeurs et les droits protégés par la Constitution. Les enseignements de la Cour dans l’arrêt Paterson, trouvent application en l’espèce :

Il importe donc de ne pas permettre que le troisième facteur de l’arrêt Grant 2009, à savoir l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond, l’emporte sur toutes les autres considérations, surtout lorsque (comme en l’espèce) la conduite reprochée est grave et a une grande incidence sur un droit constitutionnel de l’appelant. Dans la présente affaire, j’estime que l’importance de faire en sorte que pareille conduite ne soit pas cautionnée par les tribunaux milite en faveur de l’exclusion de la preuve. Comme le dit également le juge Doherty dans McGuffie, [TRADUCTION] « le tribunal ne peut dissocier convenablement le système de justice de l’inconduite policière et consolider l’engagement de la collectivité envers les droits individuels que protège la Charte qu’en écartant la preuve [. . .]

Considérant que les prescriptions de l’article 254 quant au caractère immédiat n’ont rien de nouveau et devraient être une préoccupation des agents de police qui détiennent un individu en vertu du Code criminel;

Considérant que le droit à l’assistance de l’avocat de son choix est connu et appliqué au quotidien par les policiers, les faux pas en cette matière continuent de surprendre et le Tribunal doit s’en dissocier.

En conclusion, l’exercice de pondération enseigné par l’arrêt Grant exige le balancement des différents facteurs et il appartient au juge du procès de procéder à celui-ci.

Le Tribunal conclut que la mise en balance de tous les critères milite en faveur de l’exclusion de la preuve, car le Tribunal ne peut s’associer à ces comportements qui déconsidèrent l’administration de la justice. »

CONCLUSION

La Juge, après analyse de tous les faits en relation avec la jurisprudence en vigueur, en vient à la conclusion que le résultat des tests d’alcoolémie doit être exclu de la preuve vu la gravité des violations des droits de l’accusé.

Comme il n’y a plus aucune preuve de l’alcoolémie de l’accusé lors de son arrestation pour alcool au volant, il est acquitté.

Référence : La Reine c. Matthews – cause 505-01-159127-188

Jugement du 6 juillet 2020 par l’Honorable Juge Magalie Lepage, J.Q.C., Cour du Québec, district de Longueuil

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