L’accusé est arrêté pour alcool au volant. Les tests d’éthylomètre subis au poste de police révèlent une alcoolémie de 158, 135 et 144 mg d’alcool par 100 ml de sang.
Malgré plusieurs demandes à cet effet, l’accusé n’a pas eu accès à l’avocat de son choix contrairement à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
La preuve des résultats des tests d’alcoolémie est donc exclue et, par conséquent, l’accusé est acquitté d’avoir conduit un véhicule moteur avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d’alcool dans le sang.
Dans cette cause, l’accusé plaide que les policiers n’avaient pas les motifs requis pour procéder à son arrestation pour alcool au volant et qu’il n’a pas eu droit à l’assistance de son avocat personnel, contrairement à ce qui est prévu à l’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Pour ces motifs, il demande à la Cour que les résultats des tests d’haleine soient exclus de la preuve contre lui.
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LES FAITS DE CETTE CAUSE
L’accusé va prendre un verre avec des amis dans un bar à Jonquière.
Vers 3 hres du matin, alors qu’ils sont en patrouille, les policiers remarquent le véhicule conduit par l’accusé « faire une manoeuvre de recul qui coupe la route d’un taxi. Le véhicule s’engage ensuite dans une rue qui se termine en cul-de-sac. Il fait brusquement demi-tour et revient vers le véhicule patrouille. Les policiers allument les gyrophares pour que la fourgonnette s’immobilise, mais cette dernière continue à circuler tout en empiétant sur le trottoir.
La fourgonnette s’immobilise enfin. Le conducteur baisse sa fenêtre et demande s’il peut se stationner. Les policiers procèdent alors à une interception. Il est 3 h 29. »
L’accusé, en réponse à une question du policier, admet avoir consommé quelques bières pendant sa soirée au bar.
Le policier indique à la Cour qu’il a constaté plusieurs symptômes de facultés affaiblies: forte odeur d’alcool provenant de l’habitacle du véhicule et de son haleine, « yeux rouges et injectés de sang, problèmes de salivation et de prononciation ».
Suite à ces constatations, « le policier conclut qu’il a des motifs raisonnables de croire que l’accusé a conduit avec les capacités affaiblies par l’alcool.
À 3 h 30, il procède à l’arrestation et avise verbalement l’accusé de ses droits (motifs d’arrestation, droit au silence, droit à l’avocat). Il précise que l’accusé va avoir le droit de consulter un avocat une fois au poste ».
L’autre policier, une agente de la paix, remarque « une forte odeur d’alcool du côté passager. À ce moment, elle n’intervient pas auprès de l’accusé.
Le départ vers le poste se fait à 3 h 34.
Durant le trajet, la policière fait la lecture des droits en utilisant les cartes plastifiées « Droits en cas d’arrestation ou de détention et mise en garde » ainsi que « Ordre de fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un alcootest approuvé ». L’accusé comprend bien.
Après l’arrivée au poste à 3 h 52, la policière entreprend les démarches pour l’exercice du droit à l’avocat dans un local spécialement aménagé pour assurer la confidentialité de l’entretien. Des affiches montrent des noms d’avocats, dont ceux de garde à l’aide juridique. »
L’accusé indique alors à la policière qu’il désire consulter un avocat qu’il connait et qui est « un ami en qui il a confiance ».
Le premier appel à l’avocat
La policière compose le numéro du bureau de l’avocat de l’accusé. Il est 3 h 58.
Comme il n’y a pas de réponse, la policière indique à la Cour qu’elle demande à l’accusé s’il voulait qu’elle laisse un message. L’accusé lui répond alors par la négative et indique à la policière qu’il voulait téléphoner une amie avocate.
Pour l’accusé, il était inutile d’appeler au bureau de l’avocat en question à 4 hres le matin.
Le deuxième appel à l’avocat
À 4 hres, la policière trouve le numéro de l’amie avocate de l’accusé et le compose.
Elle témoigne à la Cour à l’effet qu’il n’y a aucune sonnerie et que l’appel se dirige directement sur la boîte vocale. Elle demande alors à l’accusé ce qu’il désire faire. Il lui indique alors que s’il communique avec l’avocat avec qui il voulait parler au départ avec son cellulaire personnel, « il y a plus de chance qu’il réponde ».
La policière accepte cette alternative.
La policière précise alors qu’entre le premier appel et le troisième appel, il y a un délai de 5 minutes.
Le troisième appel à l’avocat
L’accusé prend son cellulaire, trouve le numéro de l’avocat dans ses contacts et remet son cellulaire à la policière qui effectue l’appel. Elle obtient, encore une fois, la boîte vocale et raccroche sans laisser un message.
Le quatrième appel à l’avocat
« La policière résume ainsi la suite : « […] une fois que les trois appels à l’avocat ont été faits, bien moi, j’ai mentionné à [l’accusé] que j’aimerais mieux qu’il discute avec un avocat avant […] de passer le test d’éthylomètre, je lui ai expliqué que l’avocat qu’il allait appeler ce soir, ça n’allait pas être lui nécessairement le reste des procédures », suite à quoi l’accusé a parlé avec l’avocat de l’aide juridique de 4:06 à 4:17.
« L’accusé reconnaît ne pas avoir exprimé d’opposition à parler » avec l’avocat de l’aide juridique mais explique à la Cour qu’il aurait préféré communiquer avec « l’avocat qu’il connaît ».
Il indique à la Cour que les policiers lui auraient dit qu’ils avaient un travail à effectuer, qu’ils allaient communiquer avec l’avocat d’aide juridique, que peu importe qu’il parle à un de ses avocats personnels, « ça ne change rien, nous ce qu’on veut, c’est vraiment juste que tu puisses communiquer avec un […] avocat le plus rapidement possible qui va t’expliquer un petit peu la procédure et puis par la suite qui… dans le fond, nous on va pouvoir procéder avec… » en fait, ce qu’ils ont à faire comme… comme job ».
L’accusé ajoute que l’avocat de l’aide juridique « a fait sa job, c’était correct […] ». L’avocat de l’aide juridique lui a expliqué les procédures à suivre.
La suite des événements
Suite à l’appel à l’avocat, l’accusé a procédé à la prise des échantillons d’haleine à l’aide de l’éthylomètre. Les tests ont révélé des résultats de 158, 135 et 144 mg d’alcool par 100 ml de sang.
Le témoignage de l’accusé
L’accusé, lors de son témoignage, explique ses manœuvres au volant du véhicule ainsi que les symptômes rapportés par les policiers.
LES QUESTIONS EN LITIGE
La Cour doit répondre aux 3 questions en litiges suivantes :
« 1) Les policiers avaient-ils des motifs raisonnables de procéder à l’arrestation de l’accusé?
2) L’accusé a-t-il été privé de son droit à l’assistance de l’avocat de son choix?
3) S’il y a atteinte, les éléments de preuve doivent-ils être écartés selon l’article 24(2) de la Charte? »
ANALYSE ET DROIT APPLICABLE
Pour ce qui est de la première question en litige, est-ce que les policiers avec « des motifs raisonnables de procéder à l’arrestation de l’accusé? »
Motifs raisonnables et probables de croire en une infraction
« Selon l’article 254(2) C.cr. en vigueur lors des présents événements, un agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre une infraction de capacité de conduite affaiblie, par suite d’absorption d’alcool, peut ordonner à cette personne de fournir dans les meilleurs délais des échantillons d’haleine permettant de déterminer son alcoolémie.
Dans le présent cas, l’accusé soutient que les policiers n’avaient pas de motifs raisonnables. Il s’agit donc d’une détention et d’une arrestation arbitraires, contrairement à la Charte, ce qui entraîne l’exclusion des résultats de l’alcootest. »
Référant à l’arrêt Bouchard de la Cour d’appel du Québec (2008 QCCA 2260) le Juge Lortie rappelle les principes suivants :
« Les membres des forces policières qui procèdent à une arrestation n’ont pas à être convaincus hors de tout doute raisonnable de l’état d’ébriété du conducteur. Leurs motifs doivent toutefois être suffisants pour convaincre une personne raisonnable que l’individu est susceptible d’avoir commis l’infraction de conduite en état d’ébriété (more likely than not). Le seuil à franchir, à cette étape, est celui du poids des probabilités.
Il est clair que la question de savoir s’il existe des motifs raisonnables est une question de fait et non de droit. Cette question comporte un volet subjectif et un volet objectif. L’approche adéquate est celle de se demander s’il existe des faits sur lesquels les policiers peuvent raisonnablement fonder leur croyance.
Le fait de ne pas considérer l’ensemble des symptômes observés par les agents de la paix et de morceler la preuve afin d’analyser chaque symptôme séparément constitue une erreur d’appréciation qui justifie l’intervention de la Cour supérieure.
En outre, il n’est pas obligatoire d’utiliser l’ADA en toute circonstance.
Dans le présent cas, l’accusé se livre à l’exercice de morcellement que prohibe la Cour d’appel.
La preuve, vue dans son ensemble, démontre que le policier a observé une conduite erratique (couper la voie au taxi, brusque demi-tour, empiètement sur le trottoir) ainsi que des symptômes qualifiés de flagrants (odeur d’alcool qui se dégage de l’haleine de l’accusé, yeux rouges et injectés de sang, problèmes de salivation et de prononciation). De plus, l’accusé reconnaît avoir consommé de l’alcool.
Au total, la croyance subjective du policier en l’affaiblissement des capacités de cette dernière était objectivement étayée par les faits. »
Suite à cette analyse et en respectant la jurisprudence à ce sujet, le Juge conclut que les policiers avaient les motifs requis par le Code criminel pour procéder à l’arrestation de l’accusé.
Droit à l’avocat de son choix
Maintenant, le Juge doit répondre à la deuxième question en litige, c’est-à-dire, est-ce que le droit de l’accusé à l’avocat de son choix a été violé?
L’accusé rend témoignage à l’effet qu’il désirait communiquer avec un de ses avocats personnels et, comme il n’a pas été possible de les rejoindre, il a dû parler avec un avocat de l’aide juridique qu’il ne connaissait pas.
Selon l’accusé, il s’agit d’une violation de son droit de communiquer avec l’avocat de son choix, droit prévu à la Charte canadienne des droits et libertés.
Le procureur de la Couronne plaide que « les policiers ont tout fait pour assurer le respect des droits » et « que l’accusé a accepté de parler à l’avocat de garde. À tout le moins, il n’a pas manifesté d’opposition ».
« La relation personnelle accusé/avocat est un élément fondamental, de sorte que le droit constitutionnel canadien reconnait « le droit de la personne détenue de consulter un avocat qui a sa confiance et non uniquement n’importe quel avocat ».
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Est-ce que les policiers ont facilité l’exercice du droit à l’avocat de son choix de l’accusé?
« Le Tribunal identifie plusieurs problèmes du côté policier malgré la bonne foi.
Premièrement, aucun message n’est laissé sur les boîtes vocales. La policière a ainsi manqué de prudence et de diligence.
Deuxièmement, il y a une précipitation entre les troisième et quatrième appels, soit cinq minutes. Pourtant, il n’y avait pas d’urgence à agir. Notamment, le délai de deux heures prévu à l’article 258(1)c)ii) C.cr. pour le prélèvement du premier échantillon était largement respecté. Comme mentionné dans l’arrêt Willier, si l’avocat choisi par un accusé n’est pas immédiatement disponible, les policiers peuvent attendre pendant un délai raisonnable que l’avocat réponde. Dans le présent cas, l’accusé a collaboré et ne cherchait pas à retarder indûment le processus.
Troisièmement, la policière banalise la relation de confiance entre l’accusé et son avocat. Ses propos avant l’appel à l’avocat de garde reflètent que les avocats sont interchangeables, ce qui est contraire à l’état du droit.
Encore une fois, le Tribunal remarque une tendance policière à agir par automatisme. Ainsi, le policier avait unilatéralement décidé que la consultation se ferait au poste. De plus, la policière agit de façon expéditive sans s’adapter à la situation en cause. »
Est-ce que l’accusé a renoncé de communiquer avec son avocat personnel?
« Le Tribunal retient son témoignage crédible qu’il a été dirigé vers l’avocat de garde, sans avoir d’autre choix. Il est reconnu qu’une personne détenue est dans une position vulnérable. Dans ce contexte, le Tribunal ne peut conclure à une renonciation qui doit être claire, surtout lorsqu’un accusé fait valoir son intention de consulter.
Par ailleurs, il ne s’agit pas ici de remettre en question la qualité des services de l’avocat de garde. Il s’agit plutôt de faire respecter les droits d’un accusé. »
Ainsi, le Juge conclut que le droit de l’accusé à l’avocat de son choix prévu par la Charte canadienne des droits et libertés a été violé.
Exclusion de la preuve
Le droit à l’avocat de l’accusé ayant été violé, « les éléments de preuve doivent-ils être écartés selon l’article 24(2) de la Charte?
Selon l’article 24(2) de la Charte, lorsqu’un tribunal conclut que « des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».
« La Cour suprême, dans l’arrêt Grant, énumère les facteurs d’analyse :
1) La gravité de la conduite attentatoire de l’État.
2) L’incidence de la violation sur les droits de l’appelant.
3) L’intérêt à ce que l’affaire soit jugée au fond.
4) La mise en balance des facteurs.
Le juge Éric Downs de la Cour supérieure, dans l’affaire Lapierre, résume l’état du droit dans le contexte où les policiers attendent dix minutes après le dernier appel, ce qui est considéré insuffisant, niant ainsi le droit de l’accusé de communiquer avec l’avocat de son choix. »
Pour ce qui est de la gravité de la conduite, la violation n’est pas mineure. L’accusé a demandé à 2 reprises de communiquer avec son avocat personnel et à une reprise avec son amie avocate.
« La bonne foi des policiers ne change rien à la situation. Ce facteur milite en faveur de l’exclusion de la preuve.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’incidence de la violation, l’accusé a été mobilisé contre lui-même. Il ne s’agit pas ici d’une preuve matérielle qui existerait indépendamment de lui. La violation du droit à l’avocat, en raison de l’importance du lien de confiance, milite en faveur de l’exclusion de la preuve.
Troisièmement, en ce qui concerne l’intérêt de juger l’affaire au fond, ce facteur ne peut l’emporter sur l’ensemble des autres considérations, bien qu’il s’agisse d’une infraction sérieuse.
Quatrièmement, en ce qui concerne la mise en balance, le Tribunal doit examiner chaque facteur séparément et ensuite dans leur ensemble afin de déterminer si, compte tenu des circonstances, l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Le Tribunal retient que le droit de l’accusé a été banalisé, alors qu’il n’y avait pas urgence à agir. La Cour suprême, dans l’arrêt Le, détermine que lorsque les premier et deuxième facteurs s’appliquent, le troisième ne peut faire pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve.
Au total, la pondération des facteurs conduit à l’exclusion de la preuve ».
CONCLUSION
Le Juge conclut à la violation du droit de l’accusé de consulter l’avocat de son choix et exclut, suite à son analyse, la preuve des tests d’alcoolémie effectués suite à l’arrestation de l’accusé.
Comme il n’y a plus de preuve des résultats de l’alcoolémie de l’accusé dans cette cause, il est donc acquitté de conduite avec plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.
Référence : La Reine c. Malouin – cause 150-01-057545-189
Jugement du 4 décembre 2020 de l’Honorable Juge Pierre Lortie, J.Q.C., Cour du Québec, chambre criminelle, district de Chicoutimi